The Sexual Liberals and the Attack on Feminism, est un ouvrage édité par Dorchen Leidholdt et Janice G. Raymond en 1990. Le 6 avril 1987, huit cents personnes remplirent un des auditorium de la New York University Law School, alors que des centaines d’autres restèrent à la diffusion extérieure sur écrans. Elles venaient écouter des grandes figures du féminisme, autrices, penseuses, et militantes s’exprimer contre une idéologie et un programme qui, selon elles, détruisait le féminisme en se faisant passer pour son meilleur ami.
Notre dossier « Le libéralisme sexuel à l’assaut du féminisme » regroupe certaines traductions que nous avons réalisées à partir de cet ouvrage.
Les chapitres du livre original sont disponibles sur radfem.org.
Les enregistrements de ces conférences sont disponibles dans la Harvard Library
Puis, il y eut un mouvement de femmes qui critiquait l’origine sociale — et non pas naturelle ou venant de Dieu ni même descendant du Congrès — des actes comme le viol ou la violence masculine contre les femmes, comme une forme de terrorisme sexuel. Il critiquait la guerre en tant qu’éjaculation masculine. Il critiquait le mariage et la famille en tant qu’institutions du privilège masculin, et l’orgasme vaginal en tant qu’hystérie de masse et stratégie de survie. Il critiquait les définitions de la valeur comme implicitement définies par le sexe, la classe et la race. Il critiquait même les contes de fées.
Quand ce mouvement critiquait le viol, il s’agissait des violeurs et de la conception du viol en tant que sexe. Quand il critiquait la prostitution, il s’agissait des proxénètes, des clients et de l’idée que les femmes sont faites pour vendre du sexe. Quand il critiquait l’inceste, il s’agissait de ceux qui nous la faisaient subir, et l’idée que notre vulnérabilité et le silence forcé étaient sexy. Quand il critiquait les violences physiques, il s’agissait des agresseurs, et la conception de la violence comme expression d’un amour intense. Personne n’imaginait qu’en critiquant ces pratiques, le mouvement en critiquait les victimes.
Il me semble qu’en tant que féministes nous percevons les problèmes actuels d’une façon que les autres personnes ne semblent pas saisir. Plus précisément, la droite et la gauche ne semblent pas saisir ce que les féministes essayent de faire. Les féministes tentent d’abattre une hiérarchie sexuelle, raciale, économique, dans laquelle les femmes souffrent, sont dépossédées, qui célèbre la cruauté à notre encontre, nous prive de dignité et de l’intégrité de nos propres corps.
Il ne s’agit pas, présentement, d’un problème que la gauche s’efforce de résoudre. Vous l’avez sans doute remarqué. La droite ne considère même pas cela comme un problème. La droite ne reconnait toujours pas que ce problème existe — contrairement à la gauche, toujours avant-gardiste. Située à l’avant-garde, la gauche se permet donc de dire : « Alors, oui, nous comprenons le problème. Il n’est juste pas particulièrement important. » La droite — et ses dinosaures — se contente de dire qu’il n’y a aucun problème. Et nous sommes censées choisir entre ces deux options.
Je veux montrer qu’un retour de bâton contre les féministes s’est déjà produit de façon similaire contre la première vague du féminisme. Ce contrecoup du début du 20e siècle jusqu’aux années 1920 est ce que les historiens appellent la première révolution sexuelle du 20e siècle. Il y en aurait eu deux, une dans les années 1920, une autre dans les années 1960. Mais selon moi cette soi-disant révolution sexuelle a été en réalité un retour de bâton contre les féministes, et les valeurs résultant de cette révolution sont aujourd’hui promues par les libéraux sexuels dans leur nouvelle attaque contre le féminisme.
Il n’y a là, à mon avis, rien de controversé, puisque les libéraux sexuels eux-mêmes sont trop heureux de souligner leurs liens avec les sexologues et les acteurs de la réforme sexuelle qui ont participé à ce contrecoup contre les féministes du début du siècle. Ainsi, Gayle Rubin, promotrice du BDSM et libertarienne sexuelle, appartient à la tradition pro-sexe élaborée par le réformateur sexuel Havelock Ellis (Gayle Rubin, 1984). Selon elle, les féministes qui luttent contre la pornographie et la violence sexuelle masculine s’inscrivent dans la tradition “anti-sexe”, qui a débuté avec la première vague du féminisme. Je me considère, avec fierté, comme appartenant à cette tradition, même si, bien sûr, je ne la qualifie pas exactement d’anti-sexe.
C’est un immense plaisir d’être ici aujourd’hui, puisque le mouvement des femmes semble dernièrement faire l’objet d’une sorte de chantage sur la protection de la sexualité, que notre seul but sur terre serait de préserver la sexualité, pour que personne n’en dise du mal ou la critique. Bien entendu, matériellement, cela a consisté à systématiquement défendre l’industrie pornographique. Et lorsqu’il ne s’agissait pas d’une défense virulente de cette industrie, il n’y avait au mieux que passivité, apathie et indifférence de la part de femmes, féministes au fond de leur cœur, mais qui ne se bougeront pas le cul, qui n’iront jamais dans la rue pour aider d’autres femmes qui souffrent.
Selon toute vraisemblance, les pornographes étaient en train de gagner. Mais pour la première fois, ils ont peur. Ils ont bien raison, puisque nous avons nui à leurs affaires. Ils nous en pensaient incapables. Ils sont les empereurs du profit et de la douleur. Rien ne peut les toucher.
Il était une fois, au début de cette vague féministe, un consensus reconnaissant les choix des femmes comme construits, imposés, encadrés, altérés, limités, contraints, façonnés par le patriarcat. Personne n’entendait par là que les choix des femmes étaient déterminés, ni que les femmes étaient des victimes passives ou impuissantes du patriarcat. En effet, une majorité croyait en la capacité du féminisme à changer la vie des femmes, ce qui serait impossible si elles étaient socialement déterminées à rester dans leurs rôles, totalement manipulées par les patriarches. L’injonction à la maternité, et même à l’hétérosexualité, faisaient l’objet de discussions ! Nous examinions comment les femmes et les jeunes filles étaient conditionnées à la prostitution, comment elles enduraient les coups des hommes et étaient orientées vers des emplois mal payés et sans avenir. Les plus modérées d’entre nous parlèrent de socialisation aux rôles sexuels. Les plus radicales écrivirent des manifestes exposant en détail la construction patriarcale de l’oppression des femmes. Mais la plupart d’entre nous comprenaient que nous n’étions pas vraiment “libres d’être toi et moi”.
Le temps a passé, et une vision plus “nuancée” du féminisme a vu le jour. Elle avait pour principe de veiller à ne pas présenter les femmes comme des victimes. De plus en plus de femmes ont fréquenté les écoles supérieures et professionnelles, elles sont devenues “plus intelligentes”, magistrates, universitaires, expertes dans toutes sortes de domaines. Après avoir intégré le pouvoir créé par les dieux masculins, elles “ont vu que c’était bon”. Dès lors, elles nous ont demandé de « faire très attention à ne pas dépeindre les femmes comme incapables de prendre des décisions responsables
La situation à laquelle nous sommes confrontés remonte à des années en arrière, presque au début du mouvement moderne de libération gay, à la fin des années 1960 et début des années 1970. Bien qu’il ait émergé peu de temps après celui des femmes, le mouvement gay, dominé par les hommes, n’a jamais vraiment saisi à quel point l’homophobie est enracinée dans la haine des femmes. En effet, la misogynie est une caractéristique de la suprématie masculine. Pour le dire simplement, l’homme homosexuel est stigmatisé en raison du statut inférieur qu’il semble partager avec les femmes – s’il ne comprend pas cela, il n’aura jamais d’analyse politique radicale.
Je parle volontairement de “suprématie masculine”, afin d’exprimer mon point de vue, hostile à la hiérarchie des classes de sexe, le système politique de discrimination fondée sur le sexe. Les gays ont évidemment tout intérêt à mettre fin à cette discrimination, puisque l’homophobie en est à la fois la conséquence et un moyen de la renforcer. La suprématie masculine exige la polarité des sexes – les “vrais hommes” s’y efforcent d’être le plus différents possible des “vraies femmes” ; et la supériorité sociale des hommes sur les femmes s’exprime en public et en privé de toutes les façons imaginables.