Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable

Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable

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L’idéologie catastrophiste, progressisme sous crack, est une arme de propagande et un programme politique-technologique au service du renforcement de l’État et de la réorganisation de la production capitaliste.

Notes de lecture du livre Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, de René Riesel et Jaime Semprun, publié aux Éditions de l’Encyclopédie des nuisances.

 

 

1. De quel désastre parle-t-on ?

Le désastre est notre avenir officiel

« L’extinction finale vers laquelle nous entraîne la perpétuation de la société industrielle est devenue en très peu d’années notre avenir officiel ». Les « rubriques du catastrophisme ne manquent pas » : pénurie énergétique, dérèglement climatique, démographie, mouvements de population, empoisonnement ou stérilisation du milieu. L’infernal catalogue des menaces est connu, prédit, chiffré, certifié et mis à jour en temps réel par les experts officiels.

« La catastrophe est comme la bande-annonce, projetée en boucle sur tous les écrans, des temps à venir ». Et c’est par l’administration de cette catastrophe que nous sommes à présent gouverné·es. Il ne faudrait pas en conclure que la crise écologique totale est une pure fiction destinée à nous soumettre, mais il s’agit de comprendre qu’elle est aujourd’hui utilisée comme « une forme de propagande en faveur de l’organisation sociale existante ».

La société industrielle

Pour les auteurs, le véritable désastre, c’est la société industrielle de masse elle-même. Et sa capacité à capitaliser sur ses nuisances présentes ou à venir pour justifier son propre développement.

« La société de masse […] ne pose jamais les problèmes qu’elle prétend “gérer” que dans les termes qui font de son maintien une condition sine qua non. » Cela consiste à retarder son effondrement aussi longtemps que possible « en renforçant toutes les coercitions et en asservissant plus profondément les individus à la collectivité ».

 

2. Qu’est-ce que le catastrophisme et à quoi sert-il ?

Le catastrophisme c’est à la fois le conditionnement que produisent les prédictions scientifiques de catastrophes à venir ; et à la fois le programme politique et technologique avec lequel l’État et l’industrie se présentent comme les seuls à pouvoir y répondre, en empêchant toute forme de résistance.

Le catastrophisme étouffe « par la propagande et l’embrigadement toute tentative d’affirmer une critique sociale qui serait à la fois anti-étatique et anti-industrielle. »

La catastrophe hypothétique “fait écran” au désastre en cours.

En détruisant toutes les bases sur lesquelles elle repose, la société industrielle « crée des conditions d’insécurité, de précarité de tout, telles que seul un surcroît d’organisation, c’est-à-dire d’asservissement à la machine sociale, peut encore faire passer cet agrégat de terrifiantes incertitudes pour un monde vivable ». Le catastrophisme qui annonce un hypothétique monde invivable fait écran au caractère invivable du monde actuel. Il représente sous forme de menace « ce qui est en fait une réalité déjà là : des pratiques et des rapports sociaux, des systèmes de gestion et d’organisation, des nuisances, des polluants, des poisons, etc. »

Le règne des experts

Le programme actuel de tous les États, c’est la gestion calculée, raisonnée et scientifique de la société industrielle et des ressources par les experts, et l’optimisation « de son fragile biotope terrestre. » C’est le règne des experts, la dictature des savants. Pour survivre aux catastrophes annoncées, nous devons soumettre aux planifications des « techniciens de l’administration des choses ». Ceux qui refusent de se soumettre sont considérés comme des ennemis. « Quiconque refuse de se responsabiliser, de participer avec zèle à cette gestion citoyenne de la poubelle planétaire, démontre par là avoir le profil du terroriste en puissance ».

L’obsession pour les chiffres.

Les représentations catastrophistes ont en commun de n’accorder « le statut de connaissance qu’à ce qui est passé par le filtre de la quantification ». Elles ne privilégient que les paramètres dont les effets semblent mesurables.

Pourtant, « l’essentiel du cours du désastre n’a jamais été secret », il est là devant nos yeux. Inutile de fétichiser la “transparence” et la connaissance quantitative. : « pas besoin de compteur Geiger ou d’analyses toxicologiques pour savoir combien le monde marchand est mortifère. »

Le catastrophisme c’est le progressisme sous crack

Les deux principaux traits de la mentalité progressiste sont :

  1. D’une part« la foi en la capacité de la science et de la technologie à maîtriser rationnellement la totalité des conditions de vie »
  2. D’autre part la nécessité que les individus se plient « à une discipline collective propre à assurer le bon fonctionnement de la machine sociale ».

 

Ces deux traits de la mentalité progressistes sont accentués par le catastrophisme :

  1. D’une part on croit « à la possibilité de connaître tous les “paramètres” des “problèmes environnementaux”, et d’ainsi les maîtriser
  2. D’autre part « on accepte comme une évidence que cela passe par un renforcement des contraintes imposées aux individus. »

Pourtant, même si « chaque progrès de la sécurisation a entraîné l’apparition de nouveaux dangers, de risques, de fléaux », « rien de tout cela n’ébranle le progressiste. On dirait au contraire que chaque nouvel échec de la sécurisation le renforce dans sa conviction d’une tendance générale vers le “mieux” ». Son but est celui d’un contrôle total des conditions de vie, et sous cet aspect, « on peut dire que la science et la technologie moderne s’apparentent, en tant qu’organisations, à un mouvement de masse totalitaire ». « Aucun désastre ne suffira jamais à ramener à la raison un progressiste fanatisé. Il y verra au contraire un motif supplémentaire de renforcer le système technologique, d’améliorer la sécurisation, la traçabilité, etc. »

Représentations catrastrophistes

Différentes représentations catastrophistes, différents scénarios catastrophes sont agités, et même s’ils n’appellent pas exactement les mêmes “solutions”, ils ont globalement tous le même effet, c’est-à-dire un renforcement du règne des experts, donc de l’État.

  • Le scénario apocalypse : Avec celui-ci, tout est foutu, l’espère humaine va disparaître, nous sommes des condamnés en sursis, on n’en a plus pour très longtemps donc acceptons notre sort et profitons comme on peut, carpe diem.
  • Le scénario réchauffement climatique : Un effet rassurant du scénario climatique est qu’il réduit de nombreux désastres et dangers à un facteur unique, le dioxyde de carbone, et « permet de promouvoir tout un éventail de “solutions” qui en appellent à la fois à l’État, à l’industrie, à la discipline individuelle du consommateur conscient et responsabilisé ».
  • Le scénario épuisement : On va manquer d’énergie, d’eau de terres etc . Donc il faut rationner, donc il faut plus d’État, d’industrie et de contrôle.
  • Le scénario empoisonnement : Toute une variété d’experts et contre-experts répertorient l’empoisonnement général du milieu vital. Cela entraîne une responsabilité obsessionnelle « pour préserver une santé largement hors d’atteinte ». Cela permet aussi de faire « tourner un vaste secteur de la production marchande (des aliments labellisés “bio” à la parapharmacie) ». Et cette obsession permet de s’aveugler devant le désastre.
  • Le scénario chaos : Celui-là se concentre sur une dislocation sociale et « géopolitique », des conflits possibles, toutes sortes de guerres. Mais il n’apporte aucune solution, à part peut-être une « bonne gouvernance », donc un bon État.

L’état d’urgence écologique

Appeler de ses vœux “l’état d’urgence écologique”, comme le font tous les étatistes de gauche et autres citoyennistes, revient à confier les plein pouvoirs aux experts. L’état d’urgence écologique est un programme « une survie intégralement administrée », et il faut que « chaque aspect de la vie, chaque détail de comportement, soit transformé en objet de contrôle étatique, encadré par des normes, des règles, des prescriptions » pour répondre scientifiquement au problème.

« L’état d’urgence écologique est à la fois une économie de guerre qui mobilise la production au service d’intérêts communs définis par l’État et une guerre de l’économie contre la menace de mouvements de protestation qui en viennent à la critiquer sans détour ». L’état d’urgence écologique est une guerre menée par la bureaucratie contre la nature détraquée. Comme toutes les guerres de l’histoire moderne, elle permet d’accélérer la fusion de l’économie et de l’État.

 

3. Perspectives d’émancipation

C’est aux individus réfractaires à la société industrielle de masse que s’adressent les auteurs de ce livre, et qui « n’excluraient pas par principe de s’associer pour lutter contre cette sursocialisation. »

L’aliénation

Si les gens ne se révoltent pas contre ces conditions d’existence, c’est peut-être qu’ils les aiment  ?

Pas vraiment, en tous cas ça ne le prouve pas. Et c’est toute la question du consentement, de l’emprise, de la dépendance, bref de l’aliénation. Peut-on dire du prisonnier qu’il aime sa cellule quand il n’a connu qu’elle tout sa vie durant et qu’il ne peut pas s’échapper ? Les gens n’ont aucune autre existence à aimer que celle-ci. En compensation des « tourments de la compétition permanente », la société « leur fournit les psychotropes pour les endurer » et ils espèrent qu’elle perfectionnera « les contreparties en échange desquelles ils ont accepté de dépendre d’elle en tout ».

Mais aussi, « un arrêt de la machinerie de la vie artificielle » est « presque impossible à imaginer pour les habitants de ce monde clos ». Si bien que c’est le perfectionnement de cette machinerie qui paraît plus “réaliste” que son démantèlement.

Par ailleurs, la plupart des gens continuent d’adhérer aux promesses de bonheur de la société marchande. Mais ils savent maintenant que ces promesses ne pourront être augmentées indéfiniment pour des raisons écologiques. Dans ce contexte, le catastrophisme n’est pas conçu « pour faire renoncer à ce mode de vie si enviable, mais pour faire accepter les restrictions et aménagements qui permettront, espère-t-on, de le perpétuer ».

Danger du prophétisme révolutionnaire

L’espoir de la catastrophe salvatrice, censée régénérer l’humanité et lui faire accéder à une nouvelle conscience sociale et écologique est encore une autre forme d’adhésion au catastrophisme. C’est s’en remettre à un effondrement inéluctable prédit scientifiquement, qui renversera la société industrielle à notre place. C’est bien sûr une illusion dangereuse, une autre forme de prophétisme révolutionnaire. Se laisser « fasciner et accabler par les projections du catastrophisme officiel », par les calculs et modélisations informatiques, contribue à détruire toute volonté ou ambition, à perdre « l’impulsion d’agir directement sur son sort, sans certitudes ni garanties ».

La prise de conscience n’est pas nécessairement un facteur de révolte

« La dégradation irréversible de la vie terrestre due au développement industriel a été signalée et décrite depuis plus de cinquante ans. » Parmi les lanceurs d’alerte, nombreux sont ceux qui espèrent une prise de conscience, qui elle-même entraînera un changement quelconque. Ils et elles sont convaincues que « la connaissance de l’étendue du désastre et de ses conséquences inéluctables » ébranlera le conformisme social, voire fera émerger une “conscience critique radicale”.

Ce qu’on observe au contraire, c’est que la « connaissance toujours plus précise de cette détérioration » participe surtout de l’adaptation à des conditions de vie toujours plus détériorées. Le catastrophisme anticipe la catastrophe pour mieux nous y adapter.

« Si les masses savaient, elles se révolteraient » est donc un postulat faux. L’histoire moderne illustre au contraire « chez lesdites masses, une assez constate détermination à ne pas se révolter en dépit de qu’elles savaient ». L’apathie de plus en plus généralisée depuis les années soixante-dix tend plutôt à montrer que ce n’est pas la connaissance qui crée la révolte, mais la révolte et le goût de la liberté qui sont un facteur de connaissance.

S’émanciper de la société industrielle

Le régime des experts ne veut pas démanteler la société industrielle. Il veut la maintenir tout en prêchant des renoncements aux populations qui vont devoir se serrer la ceinture, en terme d’alimentation, de déplacements, de mode de vie, etc. pour que le système se maintienne. Mais ces “ contraintes du présent” ne sont rien d’autre que « celles qu’imposent le maintien et le généralisation planétaire d’un mode de vie industriel condamné ».

Or, le démantèlement du système de besoins actuels, de la société administrée et de son appareillage technologique ouvre des perspectives d’émancipation. Ce démantèlement nous permettrait de retrouver les contraintes matérielles directes et de les affronter sans intermédiaire. Ce qui constituerait immédiatement une forme d’émancipation, et alors « peut-être ce ne serait pas un renoncement bien douloureux que de se priver des commodités de la vie industrielle, mais au contraire un immense soulagement et une sensation de revivre enfin. »

Il faut donc à tout prix d’éviter de succomber au chantage de la bureaucratie, à l’Union sacrée avec l’État et l’industrie pour sauver la planète et se souvenir que « l’action de quelques individus, ou de groupes humains très restreints, peut, avec un peu de chance, de rigueur, de volonté, avoir des conséquences incalculables. »

 

— Stagiaire Lorenzo

 


 

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