Full Spectrum Resistance 3/4 : Communications, Renseignements, Contre-Espionnage, Répression

Full Spectrum Resistance 3/4 : Communications, Renseignements, Contre-Espionnage, Répression

TÉLÉCHARGER LE PODCAST

 

Ce podcast est le troisième d’une série d’épisodes consacrés à l’ouvrage Full Spectrum Resistance d’Aric Mcbay. Il s’agit de notes de lectures traduites de ce livre en deux tomes, avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur. La série comporte 4 podcasts aussi accessibles sous forme d’article, et dont voici le troisième.
Dans les deux premiers épisodes, nous avons vu pourquoi se battre, la nécessité d’une diversité des tactiques, d’être solidaires dans nos luttes, comment recruter, s’entrainer, s’organiser et se protéger. Dans ce troisième épisode, nous allons voir comment communiquer, comment obtenir des informations sur nos ennemis, déjouer la surveillance et éviter la répression.

 

ARTICLE FORMAT PDF : FSR_Communication | FSR_Renseignements  | FSR_Répression

 

 

VII. Communications

 

Sans communication, pas de résistance possible. Dans le camp de la résistance, la communication permet aux personnes dissidentes isolées de se réunir, de réfléchir aux stratégies et planifier des actions. Elle permet à un groupe résistant de sortir de son isolement, de recruter, de collecter des fonds et de faire partie d’un plus large mouvement qui prend ses racines dans la société. Dans le camp d’en face, les gouvernements contrôlent le récit du réel et de l’imaginaire collectif grâce aux grands médias marchands et aux chaînes officielles. Ils peuvent diffamer et décourager les personnes qui résistent, les opposer entre elles, ou simplement effacer la mémoire des luttes. Ce n’est pas surprenant si la communication est un enjeu crucial pour la résistance.

Exceptionnellement, cela se fait de façon spectaculaire comme en Grèce en 2008. Des activistes prennent d’assaut une chaîne de télévision, interrompent le discours du Premier Ministre pour faire un appel à l’insurrection en direct. Mais la communication plus discrète n’est pas moins importante, pas besoin d’être spectaculaire : c’est répondre à des interviews, créer des sites internet, diffuser des tracts.

Selon la féministe Jo Freeman, ce n’est pas parce que les masses sont en colère qu’elles forment spontanément un mouvement. Pour profiter d’une crise et catalyser la colère à ce moment-là, un mouvement qui veut gagner doit s’organiser, donc préparer son réseau de communication en amont. Les groupes autonomes peuvent communiquer entre eux de façon informelle grâce à une multitude de petits journaux, newsletter, voyageurs.
Voici quelques questions auxquelles nous allons essayer de répondre :

  • Comment les mouvements communiquent-ils pour atteindre de nouveaux sympathisant·es ?
  • Comment faire face au pouvoir et aux contradictions des grands médias ?
  • Comment communiquer en interne pour construire une culture commune et organiser des actions ?
  • Comment communiquer en sécurité dans un contexte de surveillance généralisée ?

 

 

RÉSISTANCE ET MÉDIAS DE MASSE

 

Qui a dit «  Il n’y a aujourd’hui plus rien à cette étape de l’histoire américaine, qui ressemble à une presse indépendante. Aucun d’entre vous n’ose écrire une honnête opinion, elle ne serait pas imprimer » ? John Swinton. Qui était-il ? Un grand journaliste et éditeur en chef admiré du New York Times. Quand l’a-t-il dit ? En 1880. Dès lors, les entreprises n’ont fait qu’augmenter leur pouvoir.

Le fonctionnement de l’industrie médiatique ne cherche pas à diffuser la vérité, mais à attirer l’attention et vendre de la publicité. C’est facile à observer et très bien décrit dans La fabrique du consentement de Chomsky et Herman. Bien sûr, l’ensemble des médias marchands n’est pas monolithique, ils n’ont pas forcément les mêmes intérêts et certain·es journalistes sont intéressé·es par la contestation. Mais en tant que système, les médias de masse sont contre les radicaux et révolutionnaires.
Voilà pourquoi beaucoup de radicaux sont devenus opposés aux médias au point même de ne pas s’y engager du tout. Bien sûr, il y a de bonnes raisons d’être en colère quand on voit les mensonges et l’ignorance répandues par les médias. Parfois certains activistes sont tellement hostiles qu’ils agressent les journalistes, empêchent de faire des images etc. Aucun individu ou groupe ne devrait être forcé de parler avec les grands journaux s’il n’a pas envie, mais pour les mouvements à visage découvert, rester dans l’ombre est fatal. Comme les suffragettes l’avaient compris, faire parler de soi peut faire monter l’hostilité, mais l’hostilité est plus utile que l’indifférence. Nous n’avons pas besoin de nous faire aimer par le gouvernement, ni par la majorité de la population. Mais pas de victoire possible s’ils n’entendent jamais parler de nous.

Les médias de masse jouent un rôle essentiel dans le succès de nombreux mouvements de résistance, mais attention ils ne doivent pas devenir un indicateur du succès d’un mouvement. Pour réussir, nous devons comprendre comment ces grands médias fonctionnent, leurs pièges, leur capacité à nuire au mouvement, et à quel moments ils est plus opportun de les utiliser à notre avantage ou bien d’utiliser nos propres réseaux de communication. Tout d’abord, voici comment les médias de masse dépeignent et déforment les mouvements de résistance :

  • Ils sont sensationnalistes. Ils vont donc se focaliser sur l’aspect le plus spectaculaire en occultant nos revendications.
  • Ils fabriquent des stéréotypes. Ils ont peu de place pour les mots et les nouvelles idées, ils rédigent des articles pour pouvoir les publier le plus vite possible, ils ont donc peu de place pour la subtilité et ils simplifient au maximum Ils utilisent aussi certains cadres de pensée, par exemple en se focalisant uniquement sur la violence réelle ou supposée des activistes, sur leur look, en se concentrant uniquement sur la gêne occasionnée pour les « gens normaux » au lieu des revendications, ou parfois en opposant les « bons manifestants » contre les « mauvais ». Le problème avec ces clichés, c’est qu’ils reviennent sans arrêt et rendent le récit familier, et ce qui implique que l’issue sera toujours la même, que la lutte est inutile.
  • Ils mettent à égalité des choses qui ne le sont pas. Comme par exemple en créant un débat sur le changement climatique entre des milliers de scientifiques d’un côté et un dirigeant de parti de droite de l’autre, comme si la vérité se situait quelque part entre les deux. Ou en considérant comme se rejoignant l’extrême gauche et l’extrême droite, etc. Les médias de masse aiment bien contrebalancer les messages dissidents par des déclaration officielles, mais ils ne font pas l’inverse et privilégie donc l’autorité qui a toujours le dernier mot.
  • Ils méprisent et sous-estiment. Ils ignorent certaines manifestations de masse pacifistes ou minimisent le nombre de manifestant·es, ce qui réduit les chances de succès de la non-violence. C’est une des raisons pour laquelle les moyens de communications autonomes sont essentiels aux mouvements.
  • Ils diabolisent. Si mépriser ou moquer les dissident·es n’est pas suffisant, les médias de masse les déclarent dangereux, comme des criminel·les. En marginalisant les opposant·es, en les décrivant comme des ennemi·es ils justifient la répression policière, l’emprisonnement, avec peu d’objection de la part de la population. L’imaginaire, la figure de l’ennemi·e intérieur·e varie avec les périodes. Aujourd’hui on peut quasiment qualifier de terroriste tout ce qui a un impact économique.
  • Ils peuvent être directement manipulés par les personnes qui ont du pouvoir. En général ils ne le font pas, pas pour des questions d’éthique mais parce que ce n’est pas nécessaire Les riches et le gouvernement peuvent intervenir de façon plus ou moins subtile, par exemple en payant certains journalistes pour défendre leurs intérêts.

 

Quelles conséquences ?

 

La conséquence principale est la division pour mieux régner sur les mouvements sociaux, fracturés en sous-parties plus faciles à gérer. Par exemple la division entre les bon·nes et les mauvais·es manifestant·es. Ou entre les personnes modérées cooptées par les institutions et des radicales isolées et attaquable plus facilement.

Les médias épuisent les mouvements en diffusant l’idée que des marches toujours plus grandes et chaque fois différentes convaincront les dirigeants d’opérer des changements. Les militant·es désespèrent, les leaders sont pris au piège dans une surenchères de prétentions, de promesses et d’annonces. Dans le but désespéré d’attirer les médias, certain·es activistes vont parfois même faire des actions saugrenues et inappropriées. Voilà pourquoi il faut plutôt bloquer, gêner, déranger le pouvoir sans se laisser dicter son agenda par les médias de masse, en augmentant le degré de militantisme.

La célébrité (antérieure ou récente) de certaines personnes est un autre piège, qu’elle soit recherchée ou fabriquée pas les médias. Si ces personnes s’éloignent trop de leur base, elles deviennent de mauvaises stratèges, elles se coupent des autres qui peuvent les remettre en question et faire naître de nouvelles idées. Des petites célébrités peuvent aussi susciter de la jalousie, de la compétition, et donc de l’hostilité horizontale.
Méfions-nous donc des médias de masse qui nous isolent politiquement, qui nous épuisent, qui détournent nos leaders, qui modèrent les mouvements en opposant modéré·es e militant·es. Nous allons voir comment.

 

COMMUNICATION POUR PERSONNES RADICALES

 

Les médias de masse sont un outil, mais ils ne feront pas le boulot à notre place. Nous devons établir nos propres stratégies de communications pour nos groupes et nos campagnes, en utilisant des outils efficaces, que ce soit pour nos blogs ou pour une interviews dans Le Monde. Même si la communication professionnelle peut être critiquable sous bien des aspects, les radicaux peuvent apprendre des techniques de communication sans compromettre leur principes politiques.

Trop souvent les documents de communication des radicaux sont vagues, trop abstraits, trop longs. Les radicaux mettent souvent l’accent sur les vastes systèmes d’oppression, ce qui est bien mais peut être difficile pour mobiliser les personnes. Voici 9 conseils différents pour une communication efficace :

 

1. Comprenez votre objectif

Choisissez d’abord ce que vous voulez communiquer, quel message vous voulez faire passer, à qui et pourquoi. Que voulez-vous que les gens fassent ? Qu’ils changent d’avis ? Viennent à un évènement ? Renforcent des liens ? Les informer ? Les mobiliser pour une action ? Les recruter ? Défier l’opposition ?

Si vous avez accès à un journal écrit ou télé, vous ne pourrez dire qu’une trentaine de mots. Définissez votre objectif et utilisez ces mots pour l’accomplir. Sans objectif, vous ne serez pas efficace et vous ne pourrez même pas juger si vous l’avez été ou pas. Autre stratégie, certain·es activistes ne cherchent pas les faveurs de la presse, comme le SHAC, qui au lieu de convaincre voulait avoir l’air le plus terrifiant possible pour décourager les entreprises qui font du profit avec l’expérimentation animale.

 

2. Comprenez votre public

Les gouvernements et les entreprises ont conditionné les gens à recevoir un certain type de message. Si nous ne nous adressons pas à eux d’une façon qui résonnent avec eux, ils n’entendront pas. La communication est bi-latérale : vous et l’auditoire. Si vous vous concentrez seulement sur l’envoi d’un message, vous allez rater l’auditoire, et ne persuader que vous-mêmes.

Partez de ce qu’ils et elles sont, vivent, savent, et emmenez-les vers votre conclusion. Les personnes sont moins concernées par les arguments que par ce qui les touche, et cela dépend de l’auditoire. Oubliez le jargon, parlez leur langage.

 

3. Personnalisez

Ce qui touche les gens c’est une rencontre, au travers d’un film, d’un livre, d’une conférence. Ce qui touche vraiment les personnes sont les récits personnels, les histoires vécues par quelqu’un plutôt que les faits et arguments.

 

4. Soyez spécifique, concis, direct, puis répétez.

Quand vous donnez un message gris aux médias, il ressort noir et blanc. Si vos arguments sont sophistiqués et gradués , ils deviendront incompréhensibles. Vous avez très peu de temps, vos points-clés doivent être extrêmement clairs. Plus l’audience est grande, plus le message doit être simple. Cela évite aussi qu’il soit déformé par les médias.

Plutôt que de parler en terme de degrés, de nuances, polarisez grâce à des phrases binaires, oui/non, présence/absence, soit ceci/soit cela. Simplifiez, puis exagérez. Concentrez-vous sur ce qui est inacceptable pour la majorité. Par exemple « Vinci dégage, Non au CGO ». Ou bien dans une campagne contre le patriarcat : «  Stop à la culture du viol ». C’est difficilement déformable ou diluable par les médias, ou cooptable par les puissants.

Présentez un seul problème à la fois, avec un adversaire clair, un groupe de personnes plutôt qu’un vague système. Les personnes ciblées auront du mal à esquiver leur responsabilité et la pression. Plutôt que de discuter, dans une interview, répétez ces quelques points clairs encore et encore de plusieurs façons différentes.

 

5. Engagez l’auditoire grâce à un charme visuel et émotionnel.

Contrairement à de nombreux radicaux, les publicitaires l’ont compris : les arguments rationnels sont rarement aussi importants que l’impact émotionnel, qui touche plus profondément. Ils ne s’agit pas de faire du marketing révolutionnaire, mais de comprendre que les gens sont conditionnés à aimer certaines choses, à les trouver jolies et à se diriger vers elles. Une belle image est peut-être le support le plus efficace. Utilisez un vocabulaire dramatique, héroïque, excitant, inspirant, ambitieux, ces émotions qui donneront envie aux gens de se battre.

 

6. Construisez un lien de confiance.

Souvent qui dit quelque chose est plus important que ce qui est dit et comment. Créez une relation crédible et authentique avec votre audience. Les gens se méfient du marketing publicitaire, ils écouteront plus si vous parlez avec sincérité, à partir de qui vous êtes, avec vos mots. Si vous parlez d’un problème en particulier, présentez la paroles, les histoires des personnes les plus affectées., faites les entendre. Répétez les messages. Les personnes n’agiront pas forcément au premier contact, mais suite à un contact régulier et répété. Ne méprisez pas les personnes, respectez-les. Vous voulez qu’ils et elles vous écoutent ? Écoutez-les. Adoptez une conduite et une tenue appropriée.

 

7. Utilisez votre cadre de pensée, pas celui de l’adversaire.

Mobiliser les personnes nécessite rarement de les faire changer d’avis, mais plus souvent cela fonctionne grâce de nouvelles utilisations de leurs croyances, perceptions et motivations existantes. Mettre en place un cadre de pensée est plus important que de définir le message avec précisions, car une fois que le cadre est posé, les tentatives de s’y opposer sont vaines.

Les représentants de l’industrie font souvent appel au raisonnable, à ne pas se laisser aller à l’émotion, d’être du côté d’un réalisme économique etc. Pour parler d’injustice, faites glisser le cadre de rationnel-vs-emotionnel vers juste-vs-injuste ou éthique-vs-immoral. Sur le terrain des chiffres, des calculs, des experts en technique, même en ayant raison nous serons toujours perdant dans un débat. Là où nous sommes supérieurs est quand nous les confrontons sur le terrain de la morale, de l’exploitation, de la domination. Nous atteindrons notre objectif grâce aux faits plus des sentiments.

 

8. Mobilisez pour agir

Le but de la résistance n’est pas le monologue idéologique mais de donner envie aux gens de passer à l’action. Il devrait y avoir un appel à l’action dans à peu près tout ce que vous partagez en ligne. Quand vous partagez une information, dites ce que vous voulez que les gens fassent. Si vous voulez qu’ils et elles partagent, dites-le, souvent ça suffit.

 

 

9. Mesurez votre succès.

Après avoir identifié votre objectif, diffusé votre campagne et répondu aux interview, demandez-vous : est-ce que ça marche ? C’est une étape que nous devrions faire de temps en temps, prendre du recul et juger si les stratégies ont été efficaces. Pas la peine de tout balayer, mais juste essayer de nouvelles stratégies et tactiques fait du bien.

 

SENSIBILISATION ET MÉDIAS

 

En préparant une campagne ou une action importante, considérez votre stratégie de communication. Vous pouvez commencer par esquisser une simple liste de points-clés dont vous voulez parler ou des messages qui peuvent être déclinés et répétés dans des médias, des interviews, des conversations. Voici comment structurer un point-clé :

  • Un titre : le message central de la campagne
  • Des arguments : environs 3 ou 4, chacun appuyés par 1 ou 2 faits
  • Des anecdotes ou des histoires pour accompagner

Le point-clé de votre campagne ne sera probablement pas le but ultime de votre groupe, comme l’abolition du capitalisme. Considérez plutôt une campagne comme un levier qui permette à votre audience de s’engager avec votre groupe, organisation, de mener bataille, remporter une victoire, et vous suivre sur le long terme. N’oubliez pas d’avoir au moins un argument qui antagonise, qui cible précisément un adversaire pour galvaniser le groupe.

Pour une interview ou un débat, mémorisez vos points-clés pour retomber sur vos pattes peu importe ce qui arrive. Dites vos points-clés le plus tôt possible après le début, et restez dessus, répétez-les de différentes façons. Répondez à la question que vous vouliez entendre plutôt qu’à celle posée, en parlant à votre auditoire plutôt qu’au reporter. Changez le cadre de pensée, évitez le débat et les digressions, c’est le meilleur moyen de garder le contrôle sur ce qui sera conservé de l’entretien. C’est normal d’être stressé·e pour cet exercice, entraînez-vous.

Un moyen de s’entraîner à plusieurs est de recréer un petite scène comme pour une interview, et de filmer les personnes qui répondent pendant une minute. Le faux journaliste peut couper la parole, essayer de mettre dans l’embarras. On peut ensuite juger si on est arrivé à communiquer suffisamment d’informations, et comprendre aussi la communication non verbale. Si vous voulez rassembler des personnes et les faire passer à l’action, vous essayerez d’être poli·e, sympa et confiant·e. Mais si vous voulez montrer à ceux au pouvoir que vous êtes sérieux, vous essayerez probablement d’être moins sympa voire directement conflictuel. Développez des relations avec certain·es journalistes, qui peuvent être des sources d’information. Mais rappelez-vous que les patrons des grands médias ne sont pas les amis des groupes résistants. Le mieux que vous puissiez obtenir est un article neutre.

Le choix de vos modes de communications et médias en fonction de vos objectifs immédiats, de votre budget, de votre temps, de votre cible. Le face-à face permet de construire des liens solides dans un groupe aux ressources limitées, c’est même la base que rien ne devrait remplacer. Les emails et téléphone pour toucher plus de personnes. La photographie ou une vidéo sur YouTube pour avoir un plus grand impact émotionnel.

La télévision a un fort impact émotionnel, mais reste une des armes les plus puissantes du système pour se maintenir en place grâce à la peur, à la résignation, à la désinformation, etc. Internet aussi est une épée à double tranchants. Il permet certes des réseaux puissants pour la communication directe, mais instaure un cadre de passivité, devant les smartphones sur un canapé, loin du puissant face-à-face de l’organisation de terrain propice à la lutte.

 

 

 

COMMUNICATIONS POUR GROUPES CLANDESTINS

En étudiant des mouvements de résistance comme la Résistance française, nous comprenons la nécessité d’un grande prudence et d’une sécurité rigoureuse. Une communication sécurisée est un point pivot pour les groupes clandestins, indispensable pour pouvoir recruter, planifier des actions, partager et récupérer des informations. Dans le cas contraire les dissident·es ne peuvent pas s’organiser et les groupes ne peuvent pas communiquer sur ce qu’ils font et pourquoi et ils resteront isolés.

Le niveau de sécurité est égal au maillon le plus faible. Si des membres du groupes sont négligents ou peu fiables, le meilleur cryptage du monde est inutile. Tous les conseils de l’épisode précédents s’appliquent, pare-feu, compartimentage, sélection des membres etc. Mais les groupes clandestins utilisent aussi des outils de communication spécifiques. Voici quelques outils de communication sécurisée qui s’apparentent plus à du bon sens qu’aux gadgets de James Bond.

1. Rendez-vous en face-à-face

Les emails et téléphones sont facilement surveillables, donc la conversation est le moyen le plus sûr pour des résistant·es proches géographiquement. Michael Collins de l’IRA irlandaise n’écrivait presque rien et voyageait avec une mallette remplie de documents comptables sans intérêt. Il y a des exercices pour améliorer sa mémoire, pour tout le reste, ce qui doit absolument être noté, les activistes utilisent des codes, déguisent les messages et les détruisent avec précaution quand il n’y en a plus besoin. Les activistes évitent de se réunir au même endroit, dans leur propre maison, dans une voiture, dans les lieux militants, et préfèrent plutôt les parcs, les endroits sans caméra, dans un coin d’une bibliothèque etc.

Risque : être suivi, dévoiler une connexion régulière entre résistant·es

2. Dead drop (ou boite aux lettres morte)

Un dead drop est un lieu pour se transmettre des objets sans se rencontrer., ni même nécessairement se connaître. C’est une façon de faire passer une information de l’autre côté d’un pare-feu. Ce peut être n’importe quel conteneur qui peut faire office de cachette sans attirer l’attention des passants. Par exemple un livre dans une bibliothèque, le casier d’un vestiaire. Il est maintenant facile de cacher n’importe où des informations sur une petite clé USB ou MicroSD. Une boite email peut asussi servir de dead drop. Contrairement à des lieux éloignés, des lieux fréquentés aident à cacher l’identité des utilisateurs, qui n’ont pas besoin d’une bonne couverture pour s’y rendre.

Les utilisateur·rices ont aussi besoin d’un signal pour faire savoir à l’autre que quelque chose a été déposé dans le dead drop. Le signal doit avoir l’air inoffensif. Ça peut être un commentaire particulier laissé sur un blog particulier en ligne. Ça peut être un signe physique près du dread drop, comme une marque dans les toilettes, un objet ou une lampe près d’une fenêtre, etc.

Risque : se faire trahir par un autre utilisateur du dead-drop

3. Cut-out et messagers

Un cut-out est un intermédiaire qui passe les informations entre deux parties, par exemple entre un informateur et un·e officier·e des renseignements clandestins. Les cutouts sont des personnes qui font profil bas, ne s’impliquent dans rien d’illégal et permettent de préserver l’identité des activistes clandestins. Le message transmis permet de communiquer avec d’autres cellules ou des auxiliaires. Une bonne couverture est par exemple un gérant de café qui parle à beaucoup de personnes différentes sans éveiller les soupçons.

Les messager·ers aussi transmettent des objets pour les groupes clandestins, ce sont des personnes qui peuvent se déplacer rapidement en sécurité, par exemple grâce à un emploi qui leur permet de voyager. Parfois des messagers sont utilisés par la résistance sans qu’ils soient au courant, ces personnes ne seront pas trop stressées si elles se font arrêtées et interrogées, elles n’ont rien à dire. Par contre plus d’imprévus peuvent avoir lieu.

4. Signaux pré-arrangés

Un signal pré-arrangé est peut-être le moyen de communication le plus simple, rapide et fiable. Le signal est établi à l’avance. Un signal peut servir dans une situation d’urgence, dans un appel à l’aide, ou encore pour coordiner des actions, ou transmettre d’autres informations comme une réussite ou un échec. Pour des raisons de sécurité, un signal ne devrait être utilisé qu’une seule fois.

5. Cryptage et stéganographie

Le cryptage est une méthode qui remonte à l’Antiquité. Aujourd’hui réalisé grâce aux ordinateurs, elle est risquée car la plupart des personnes ne peuvent pas faire confiance à leur ordinateurs. Le cryptage peut être efficace mais peut aussi attirer l’attention car un message illisible peut suggérer qu’il y a quelque chose à cacher.

En revanche la stéganographie est une approche plus subtile. Il s’agit de cacher un message dans un autre objet, comme par exemple dans une photographie numérique. Enfin, le cryptage devrait être utilisé par les activistes à visage découvert et même par tout le monde, pour des raisons de surveillance et éviter d’éveiller des soupçons sur les messages des résistant·es.

Mais le système de cryptage a beau être sophistiqué, le maillon le plus faible est toujours humain. Les puissants préfèrent parfois capturer et torturer un·e résistant·e plutôt que de décrypter un message. Les Nazis ont ainsi pu pénétrer les réseaux de communication de la Résistance. Un moyen de déjouer ces tentatives était d’introduire délibérément des erreurs dans le message. Une faute à la 7e lettre pour indiquer que tout va bien, une faute à la 13e lettre pour indiquer être capturé. Et enfin par l’utilisation de phrases mot de passe, pour s’assurer que la situation n’est pas compromise.

 

Chapitre 8 : Renseignements & Reconnaissance

 

 

IRA & BLOODY SUNDAY

 

Par définition un mouvement de résistance est inférieure, ses ressources sont limitées. Il doit donc savoir exactement où et comment frapper pour utiliser sa force limitée de façon stratégique. Le travail de renseignement consiste surtout à rassembler des informations disponibles. C’est un travail fastidieux qui requiert efforts et organisation, mais qui est indispensable, que ce soit pour un mouvement à visage découvert ou clandestin, armé ou non-violent.

L’histoire irlandaise nous montrent à quel point le renseignement est crucial. En 1916, après avoir atteint les limites d’une lutte non-violente, l’Irish Republican Brotherhood escalade les opérations. Après une insurrection échouée (on peut difficilement occuper un territoire dans une guerre asymétrique), les résistants adoptent des méthodes de guérilla, notamment sous l’impulsion de Michael Collins.

Obtenir des informations sur l’ennemi tout en empêchant d’être infiltrés par l’armée britannique va sauver les organisateurs de l’IRA. Menacer et cogner les agents infiltrés ne suffit pas, ils vont commettre des assassinats, et notamment le 20 Novembre 1920 où ils neutralisent le groupe d’espions britannique le plus dangereux. Le Royaume va se venger sur la population, mais le soutien pour la résistance grandit. L’IRA peut plus facilement recruter et s’organiser, et 8 mois plus tard, les Britanniques supplient de négocier l’indépendance de l’Irlande. C’est en étudiant avec minutie le service de renseignements britanniques, leur fonctionnement et l’état de leurs connaissances, que Michael Collins pu préparer et mettre en place son propre service de renseignements, supérieur à celui de l’ennemi. De bons renseignements permettent d’être plus efficace qu’une armée régulière avec pourtant moins de ressources.

Qu’est-ce que le renseignement ? C’est obtenir des informations sur l’ennemi, sur le terrain, sur les autres factions. Pas juste des rumeurs, mais des détails aussi précis que possible. C’est pouvoir créer la surprise lors d’une attaque, et pouvoir l’éviter pour la défense. Le renseignement pour la résistance est une part de recherche, une part de journalisme d’investigation et une part d’espionnage. C’est une tâche à laquelle tout le monde peut participer sans être clandestin.

 

 

TROIS NIVEAUX DE RENSEIGNEMENT

 

Les renseignements se répartissent en trois niveaux différents :

  • Renseignements stratégiques : c’est la vision d’ensemble, des informations sur la situation politique, économique, l’infrastructure industrielle, les réseaux de communications et d’énergie, les personnes et organisations importantes etc.
  • Renseignements opérationnels : ils aident les groupes à planifier et mettre en œuvre une campagne en particulier. Il s’agit d’identifier les cibles et actions potentielles, lesquelles ont le plus de valeur d’un point de vue stratégique.
  • Renseignements tactiques : c’est les détails les plus spécifiques et détaillées sur les unités, cibles et engagements, par exemple par la reconnaissance directe. C’est compter le nombre de gardiens, les patrouilles, les caméras, les routes de secours, les points faibles etc.

Bien sûr ces trois niveaux ne sont pas clairement délimités les uns des autres, ils peuvent se chevaucher. Là où une armée régulière sera plus intéressée sur le plan stratégique pour mobiliser des troupes sur le long terme, des groupes résistants plus agiles vont plutôt se concentrer sur les opérations et la tactiques pour enchaîner les victoires.

 

LE CYCLE DU RENSEIGNEMENT

 

Les professionnel·les utilisent le « cycle du renseignement » :

  • Direction et objectif. De quoi avons-nous besoin pour gagner ? Les personnes qui cherchent et qui prennent les décisions collaborent pour définir les priorités du renseignement.
  • Collecte. Où pouvons-nous trouver cette information ? Les sources sont multiples pour trouver des informations brutes (livres, Wikileaks, sympathisants, etc)
  • Analyse. Quelle information est plus crédible opportune, importante et précise ? Chercher les contractions et les lacunes, essayez d’avoir une image complète de la situation.
  • Emballage et conditionnement. Comment pouvons nous présenter et partager cette information ? Une profusion d’informations est inutile quand des décisions doivent être prises rapidement. Les renseignements sont présentés sous formes d’avertissement, de rapport, de plans, de cibles etc. L’information est partagée dans les temps avec les bonnes personnes
  • Utilisation et évaluation. Les renseignements sont utilisés et leur pertinence est évaluée. On apprend grâce à de bons renseignements et grâce aux erreurs. Retourner au premier point en ajustant les priorités et fonction des résultats.

Le cycle du renseignement un concept très utile, efficace pour développer un département des renseignements. Mais pour les petits groupes il n’a pas forcément besoin d’être aussi formel. Les activistes qui font du renseignements partagent ce qu’ils et elles savent et aident le groupe à prendre des décisions plutôt que d’écrire des notes formelles. Mais étudions plus en détail chaque étape du cycle.

 

 

Direction et objectif

 

Plusieurs catégories de questions peuvent nous rapprocher de notre objectif.

  1. Quoi ? Qu’est-ce que nous combattons ? Quelle organisation ? Qu’est-ce qui la motive ? Que veulent-ils ? De quoi ont-ils peur ? Qu’est-ce qui pourrait nous arriver de pire? Quel est le terrain d’opération, sa géographie, son économie, etc ? Quels sont les point faibles ?
  2. Qui ? Qui est notre ennemi ? Quelles sont ses intentions ? Sa morale ? Que pouvons-nous anticiper de sa doctrine, de ses actions passées ? Comment pense-t-il? Est-il prêt au conflit ? Qui sont ses alliés ? Ses opposants ? Qui prend les décisions ? Qui est sur le front (police sécurité etc) ? Quels sont ses équipements ? Son niveau d’entrainement ? Qui peut nous aider à l’intérieur ? Quel impact sur les spectateurs ?
  3. Quand ? Quel est le calendrier ? Quelles sont les moments où nous pouvons intervenir ? Les heures d’ouverture et de fermeture ?
  4. Où ? Où se passe l’action ? Avons-nous des cartes ? Quelle route, quel accès, le plus facile ? Quel lieu notre ennemi fréquente ?
  5. Comment ? D’autres personnes ont-elles menée une lutte similaire ? Quelles tactiques ont-elles utilisées ? Ont-elles gagné ? Pourquoi et pourquoi pas ? Ces personnes peuvent-elles nous conseiller ? Nous aider ? Qu’avons-nous à disposition pour lutter ? De quoi avons-nous besoin ?
    Bien sûr, le type de questions choisies va évoluer suivant la lutte engagée, suivant le terrain des opérations, la complexité des infrastructures, les cibles, le contexte politique et géographique, le niveau de sécurité, de secret, de danger, des compétences nécessaires etc.

 

Collecte

Après avoir déterminé les objectifs et priorités du renseignement, le groupe cherche des sources. Les mouvements de résistance modernes ont une grande gamme de sources possibles de renseignements. En voici quelques-unes

Sources humaines

La source la plus facile peut être une connaissance ou ami·e, un·e journaliste ou expert·e. Ce peut être des personnes sympathisantes à l’intérieur d’une organisation contre laquelle le groupe se bat. Ce peut être des personnes qui font le ménage, elles voient ce qui se passe et ont accès à tous les bureaux. Les résistant·es de la Seconde Guerre Mondiale ont recruté des commerciaux et des apprentis pour identifier les usines et les moyens de saboter efficacement l’industrie. Un bureaucrate qui comprend votre projet vous donnera des informations pertinentes.

Pour recruter des espions, les gouvernements utilisent quatre méthodes : l’idéologie, l’argent, l’ego ou les compromissions. Pour la résistance, les trois derniers sont risqués d’un point de vue pratique et moral. La solidarité, la loyauté, la confiance et le respect des limites sont les meilleurs arguments.

Reconnaissance et expédition

Les groupes résistants doivent parfaitement connaître leur terrain, ce qui requiert un travail de reconnaissance des cibles. Si une action se déroule un Mardi, observez ce qui se passe les deux mardis précédents pour bien comprendre la situation. Suivant la cible, préparez une couverture adapté, par exemple en randonneur dans un lieu isolé, ou en étudiant qui travaille dans un café si la cible est en ville, en ouvrier sur une aire industrielle, etc. Pour ne pas répéter les visites, préparez bien les éléments que vous devez observer, notamment le dispositif de sécurité.

Un bon équipement peut inclure : des cartes, des outils d’orientation et de mesure, des habits et protections appropriées, une bonne caméra ou magnétophone, des jumelles, un lampe frontale, un petit bout de mousse pour s’asseoir pendant des heures, un petit tapis pour enjamber des barbelés, des outils de communication, un carnet imperméable. Plus d’infos sur The Ruckus Society.

Sources ouvertes

De nombreuses informations sont disponibles librement comme les journaux, les médias, des Google Alerts. Les dossiers de presse d’entreprises, les réseaux sociaux et forums peuvent donner des informations sur les relations entre les personnes intéressantes pour créer des dossiers sur elles. Wikileaks, Cryptome et d’autres lanceurs d’alerte fournissent de la documentation sur les coulisses du pouvoir. Des informations en ligne qui ont été supprimées peuvent être retrouvées dans la mémoire cache ou sur Archive.org. N’oubliez pas les sources d’informations hors ligne comme les bibliothèques, les vieux annuaires, les microfilms… Attention quand vous faites ces recherches à laisser le moins de traces possibles en utilisant Tor, des VPN, et autres outils d’anonymisation.

Allié·es

Les allié·es peuvent déjà disposer des informations que vous recherchez, demandez-leur pour gagner du temps. Certains chercheur·ses, activistes, syndicalistes ont déjà des dossiers, et vous pouvez aussi partager vos propres informations.

Cartes

Les cartes routières et photographies aériennes sont incroyablement utiles et publiques. Étudier les cartes avant d’aller faire une expédition de reconnaissance réduit les efforts, aide à trouver des chemins de secours ou des cibles multiples pour des actions impactantes.

Registre et banques de données

Ils peuvent être privés ou bien du gouvernement. Certaines informations sont accessibles sur demande à peu de frais. Les informations sensibles peuvent être censurées et les démarches lentes. Vous pouvez demandez des informations sur les recherches précédentes sur le même sujet pour gagner du temps et trouver des allié·es. N’oubliez pas les archives, les cadastres, les enchères, l’administration territoriale, les registres des permis, des impôts, les financements des partis politiques, les registres de votes, les actes judiciaires. Certaines informations peuvent aussi aider à identifier des personnes infiltrées.

Espionnage et manipulation

Je ne suggère pas que vous fassiez les choses dans cette catégorie. Les mouvements de résistance les ont parfois utilisées. Ce sont des choses que les puissants font, c’est bon à savoir. Par exemple fouiller les poubelles de quelqu’un d’autre est illégal pour vous, mais pas pour le gouvernement. Les poubelles contiennent des factures, des notes, des lettres, etc.

Dans l’histoire, beaucoup d’espionnage a été réalisé par la manipulation sociale., l’art et la science d’obtenir ce que vous voulez des autres. Par exemple, un manipulateur qui veut entrer dans un bâtiment sécurisé ne va pas escalader mais va rester devant la porte avec une pile de livres entre les mains pour qu’une personne ouvre sans même réfléchir. Pour accéder au réseau interne, il va laisser une clé USB avec un virus sur le parking jusqu’à ce qu’un employé la ramasse et la branche sur un ordinateur de l’entreprise. Parfois pour obtenir des informations au téléphone il suffit d’avoir de l’audace, de la répartie, une voix autoritaire et un bon prétexte.
Il existe de nombreux exemples de manipulation sociale en ligne

 

Analyse

Dans certaines luttes, la quantité d’informations brutes récoltées peut être si énorme qu’il est difficile d’y comprendre quelque chose. Et parfois certaines informations sont fausses lorsqu’il s’agit de permis de construire ou autres. Bref, les données brutes ne sont pas du renseignement. Les données brutes deviennent du renseignement après avoir été traitées et analysées pour savoir si elles sont intéressantes, précises et crédibles.

Trop d’informations peut nous désorienter. Alors comment s’en sortir ? En éliminant les informations qui ne peuvent pas nous aider à planifier de futures actions. Il faut aussi énormément se méfier de biais personnels, qui nous empêche d’être objectifs, ce qui peut être catastrophique surtout dans les organisations qui sont fortement motivées par l’idéologie. Ces biais peuvent nous faire sous-estimer ou mal comprendre l’adversaire. Cette tendance peut être attéunée en maintenant de la diversité au sein du groupe, en recoupant les informations et en doutant des hypothèses.

 

Emballage et conditionnement

À parti d’analyses rudimentaires des renseignements, un groupe peut les conditionner de différentes façons :

Des avertissements

Si vos informations suggèrent que quelque chose d’important va arriver, il est important d’avertir le reste du groupe, surtout s’il s’agit d’un danger. Les avertissements doivent être délivrés en veillant à protéger les sources.

Des notes générales, mises à jour, cartes de la situation

Les renseignements doivent être objectifs, profonds, précis, à jour, pertinents et utilisables, pour tenir informé·es les camarades et les allié·es de l’état de la lutte et de l’opposition, pour les aider à prendre des décisions intelligentes. Les mises à jour régulières permettent à tout le monde d’être au même niveau, par exemple grâce à un graphique.

Une analyse politique et sociale

Ne documentez pas seulement à propos de l’adversaire mais aussi du paysage politique et social pour éclaircir vos objectifs de stratégie, de mobilisation et de recrutement. Cela peut être réalisé comme sur le graphique 8.3 qui classe les organisations et partis en en différentes catégories, du plus au moins favorable à votre groupe. Ce spectre permet de comprendre que les élites ont des intérêts antagonistes qui peuvent parfois être utilisés en votre faveur. L’objectif est de pousser les différentes population sur le spectre pour qu’elles deviennent plus amicales, ou en tous cas moins hostiles. Les renseignements peuvent aider à identifier les moyens d’y parvenir. Par exemple en recrutant parmi les communautés amies, en encourageant la masse de base à devenir des sympathisant·es plus actifs. Sortir les personnes de la neutralité peut être difficile, privilégiez les personnes qui ont une certaine indépendance vis-à-vis du système. Vous ne pourrez pas empêcher des personnes de vous détester mais vous pouvez réduire la capacité de vos adversaires à vous nuire, et donner à vos allié·es des moyens de vous aider.

 

 

 

Des listes de cibles

Même la plus libérale des campagnes fournit une liste de personnes à qui écrire. Les radicaux créent des listes pour trouver des points de pression d’un système bureaucratique. Bien sûr, les cibles ne sont souvent pas des personnes mais des installations, des organisations, des infrastructures. Pour de meilleurs renseignements, les listes peuvent être annotées en fonction des priorités, des classements, de vulnérabilité, etc.

Des profils de cibles détaillés

Pour une personne, un profil de cible peut inclure une biographie, des déclarations publiques, un CV etc. Pour un site physique, le profil contient une carte avec les accès possible, les caractéristiques du terrain, de la sécurité etc.

De nouveaux outils et tactiques

Les renseignements ne sont pas seulement des informations sur l’ennemi, mais aussi de la recherche pour améliorer l’efficacité des forces amies, des outils et des équipements.

Des prévisions

Pour gagner, les groupes doivent prendre l’initiative, ils doivent se préparer à comment la lutte sera demain, pas comme elle était hier. Faites des recherches et comprenez votre adversaire pour anticiper ses actions futures. Faites des plans des conséquences possibles de vos actions et campagnes, comprenez comment maximisez les réussites et réagir aux échecs.

Dans ce chapitre, nous avons vu comment obtenir et partager des informations sur l’ennemi. Mais ce n’est pas suffisant, les groupes résistants doivent aussi empêcher les puissants d’obtenir des informations sur eux. C’est ce que nous allons voir dans le prochain chapitre.

 

 

Chapitre 9 : Contre-espionnage & Repression

 

Ici l’auteur raconte comment une amie a lui a été arrêtée chez elle par des agents armés, au beau milieu de la nuit pour avoir organisé une manifestation contre le G20 à Toronto. Les organisateurs ont été accusé de « complot », une accusation vague contre laquelle il est difficile de se défendre. Les activistes sont resté·es plusieurs semaines ou mois en prison, puis surveillé·es à leur sortie en contraignant aussi leurs familles. Aric McBay ne raconte pas cette histoire parce qu’elle est unique, mais parce qu’elle ne l’est pas.

L’histoire de la résistance est aussi l’histoire de la répression. Les dictateurs restent en place moins grâce à l’inertie que grâce à un arsenal répressif, matraque, casiers, caméra, infiltrés, prison. Un système d’inégalités et d’exploitation se maintient grâce à une combinaison de tromperie, de contrainte subtile, et de violence nue. Les puissants font tout leur possible pour prévenir la floraison des révolution, en attaquant avant que les premiers signes apparaissent.

Nous avons vu dans le chapitre sur la Sécurité des pratiques surtout passives, des choses à ne pas dire ou ne pas faire, ce n’est pas suffisant. Les mouvements qui veulent réussir ne doivent pas seulement être sur la défensive, ils doivent passer à l’offensive. Pour empêcher la division des mouvements de résistance, il faut comprendre comment fonctionnent les tactiques de répression, comment les reconnaître, et comment les contrer. Nous allons voir dans ce chapitre 7 tactiques de répression : La surveillance, la Guerre Psychologique, l’Infiltration, le Système Judiciaire, la Violence Extrajudiciaire, la Loi Martiale, et enfin la Cooptation.

 

1. SURVEILLANCE

Pour pouvoir mettre en œuvre la répression, le pouvoir a besoin de renseignements, donc il surveille. La Surveillance consiste pour les agents à observer les activistes et résistant·es, identifier les dissidents, les leaders, leurs appuis, tactiques et autres caractéristiques du mouvement. La surveillance est utile avant que les mouvement développent une conscience en matière de sécurité. Elle est aussi utile pour intimider et provoquer la paranoïa quand le mouvement est arrivé à maturation. Les premières caméras de surveillance en Angleterre n’ont pas été installées pour surveiller le crime, mais les suffragettes. La majorité de la population sait (dans une certaine mesure) qu’elle est surveillée, notamment sur les réseaux sociaux, par les gouvernements et les entreprises. Cette surveillance sape les bonnes relations entre modéré·es et militant·es, radicaux et libéraux.

Comment se protéger : Pour les groupes clandestins, en essayant d’être invisibles. Pour les groupes à visage découvert, par une culture de sécurité ou en faisant profil bas si c’est approprié. En privilégiant le face-à-face en personne et en utilisant des méthodes de cryptage. Le but de la surveillance est surtout de rendre les gens craintifs, les groupes devraient donc combattre la paranoïa et l’isolement, et passer à l’action malgré les tentatives d’intimidation.

 

2. GUERRE PSYCHOLOGIQUE & PROPAGANDE

 

Les bureaux de contre-espionnage essayent de saper les mouvements de résistance à l’intérieur, cela s’appelle la Guerre Psychologique. Les agents du gouvernements et les médias serviles essayent aussi de discréditer les mouvements à l’extérieur, cela s’appelle la Propagande. Ils génèrent la confusion, la désinformation et le mensonge en direction du public, et s’en prennent à des cibles spécifiques comme les leaders et porte-paroles.

Dans son livre War at Home, Brian Glick écrit « Le FBI et la police ont utilisé une myriade d’autres « sales coups » pour saper les mouvements progressistes. Ils ont rapporté de fausses nouvelles dans les médias et publié des faux tracts au nom des groupes visés. Ils ont fabriqué de toutes pièces des correspondances, des lettres et appels anonymes. Ils ont propagé de la désinformation sur les réunions et évènements, ont créé de faux groupes dirigés par des agents du gouvernement, et manipulé ou brutalisé les parents, employeurs, propriétaires, directeurs d’école et autre pour nuire aux activistes ».

Les agents adorent mettre de l’huile sur le feu entre les différents groupes, susciter les hostilités en prenant avantage des conflits personnels déjà existants. Le FBI aime envoyer aux organisateurs des lettres de la part d’un « ami anonyme » pour avertir qu’un allié est en train de le trahir ou veut le tuer. Le FBI a imprimé un livre de coloriage raciste au nom du Black Panther Party pour enflammer les peurs des personnes blanches. Toutes ces petites astuces permettent à nos gouvernements de mentir, de faire taire l’opposition, de déstabiliser la résistance tout en préservant les apparences de démocratie et de liberté d’expression.

Quand aux grands médias, ils n’ont même pas besoin qu’on leur demande pour désinformer, changer les propos de quelqu’un ou ne pas parler du contexte, comme nous avons vu au chapitre sur la Communication. C’est difficile de contrer leur Propagande car leur boulot est relativement simple : répéter les mensonges encore et encore de façon agressive.

Un moyen de lutter contre cette tactique vicieuse est de stopper les rumeurs superficielles au sein du groupe, et les ragots mesquins. En plus de nous détruire le moral, cela facilite les méthodes du gouvernement. Réglez les problèmes en privé et avec tact, empêchez les rumeurs de se propager tant que la vérité n’est pas faite. Enquêtez sur les messages suspicieux avant de passer à l’action. Si vous suspectez qu’un schéma de contre-espionnage se répète dans votre communauté, parlez-en à des activistes allié·es qui ont peut-être subi les mêmes attaques. Et nous devons désamorcer les conflits entre groupes en s’occupant ouvertement des discriminations autour du genre, race, classe etc. Et encore une fois, militants et modérés ne doivent pas dénigrer les actions des un·es et autres.

 

3. INFILTRATION & INFORMATEURS

 

C’est peut-être la forme la plus sournoise de contre-espionnage. Les agents du gouvernement tentent d’introduire des infiltrés dans les réunions et groupes, tout en recrutant des informateurs à l’intérieur de la résistance. Les infiltrés collectent des renseignements mais ce n’est pas leurs principale activité. Ils et cherchent plutôt à saboter les groupes de l’intérieur, de créer des schismes, de l’hostilité horizontale, de provoquer, d’effrayer les potentiel·les sympathisant·es.

La police peut arrêter quelqu’un, le mettre dans une voiture, et « accidentellement » le laisser entendre une communication radio qui suggère que quelqu’un qu’il connaît est un informateur. Ils font aussi appel à des agents provocateurs qui encourage la division interne et des positions qui ne sont pas dans l’intérêt du groupe. Les agents provocateurs vont emmener les groupes dans des pièges, dans des actions qui vont attirer plus de répression que ce que le mouvement est capable d’encaisser.

On imagine souvent que les rapports écrits par les agents infiltrés décrivent les actions planifiées, des pièces à conviction ou autres. En réalité ils sont surtout remplis de ragots. Les infiltrés écrivent et documentent sur qui a une dispute, qui couche avec qui, et des détails intimes sur la psychologie des membres du groupe qu’ils espionnent. Les infiltrés de longue durée coûtent cher à l’État mais les informations récoltées sont précieuses pour la répression.

 

Signes d’alerte d’infiltration

Il existe plusieurs types d’infiltrés et d’informateurs. Il y a l’activiste débauché·e, une personne qui a réellement commencé en tant qu’activiste mais qui s’est mise à collaborer sous la menace ou les pots-de-vin. Il y a aussi le professionnel·le sous couverture, c’est un détective ou une personne entrainée par la police ou les renseignements pour se faire une place dans un groupe. Il y a aussi des personnes qui ont eu des problèmes judiciaires et qui essayent d’alléger leur peine, et encore d’autres profils différents.

Les infiltré·es se créent des couvertures qui attirent la sympathie des activistes, qui désamorcent les suspicions. Ils reçoivent des listes d’organisations cibles et de personnes cibles. Ils et elles peuvent parfois développer des relations étroites avec les membres du groupe. Voici quelques schémas récurrents pour les identifier :

Fausse bienveillance et peu de barrières

Les infiltré·es se comportent parfois amicalement de façon inappropriée. Ils forcent un peu pour être ami·es mais ne sont pas tellement drôles. Ils se souviennent bien des noms, parfois de personnes qu’ils n’ont pas rencontrées… Il y a des exemples de policiers infiltrés qui espionnent pendant 7 ans, ont des relations sentimentales et sexuelles avec des activistes sans dévoiler leur identité. Ils savent jouer les révolutionnaires, être séduisants ou intimidants.

Absence de garant ou de sélection

L’absence d’une procédure de sélection ou de nécessité d’être recommandé par un·e membre du groupe facilite la tâche des infiltrés, qui peuvent ensuite se promener d’une organisation à une autre.

Connaissances superficielles

Même en étant formé·es par la police pendant plusieurs semaines ou mois, les infiltré·es n’auront jamais les connaissances approfondies acquises après des années d’organisation, de lectures, de discussions. Il arrive qu’ils ne connaissent les problèmes politiques que superficiellement, ils n’ont pas d’idée, ce qui est en désaccord avec leur investissement personnel, leur engagement dans la lutte. Les activistes débauchés en revanche peuvent avoir un bon niveau de connaissance.

Petites incohérences

Ils se trahissent souvent par de petites incohérences qui finissent par être négligées, mais qui sont flagrantes le jour où leur rôle est dévoilé. Ces incohérences peuvent être dans leur comportement, entre la cause qui les intéresse et les actions dans lesquelles ils s’impliquent, entre la personnalité et le style vestimentaire, entre plusieurs histoires qu’ils racontent à différentes personnes, entre leur travail et leur lieu de vie etc.

Riches sans moyens de subsistances visibles

Personne ne les voit travailler mais ils et elles ont souvent de l’argent. Ils ont beaucoup de temps libre pour venir à toutes les réunions, tous les comités, les manifestations, les évènements. et des moyens à disposition, du matériel, ils payent des coups à boire. Ils mettent du matériel parfois indispensable à disposition. Anna qui a infiltré le Green Scare a offert une maison entière à disposition de leur cellule. Bien sûr cette maison était remplie de micros pour incriminer les activistes.

Comportement suspicieux et absences

Leur lieu de vie sont étranges, parfois vides, parfois ils et elles ne veulent pas être raccompagnés chez eux (car ils doivent faire un rapport à leur supérieur). Ils se comportent bizarrement, peuvent devoir s’absenter régulièrement en donnant des explications minables.

Violent la culture de sécurité, poussent aux actions illégales imprudentes

Ils et elles parlent de choses qu’ils ne devraient pas et posent des questions sur des choses qu’ils n’ont pas besoin de savoir. Ils peuvent proclamer au nom du groupe vouloir faire des actions trop risquées, proposer aux membres d’acheter des armes à feux, donnent des conseils de sabotage non sollicités, provoquer des conversations pour incriminer les camarades. Pour les activistes débauché·es, ces comportements dangereux, des addictions peuvent être des signes de la façon dont ils se sont fait attraper.

Perturbation du groupe

Ils peuvent essayer d’isoler des personnes en en faisant des leader, en les flattant puis en parlant en mal d’eux dans leur dos. Ils peuvent tout faire pour que le groupe n’avancent pas voire même accuser d’autres personnes d’être infiltrées, parfois en faisant un scandale, pour détourner l’attention d’eux-mêmes. Accéder à des positions importantes est très intéressant pour un infiltré qui veut perturber.

 

Comment recruter en se méfiant des infiltré·es ?

Prenez la menace au sérieux

Si l’État vous prend au sérieux, vous devez vous prendre vous-mêmes plus au sérieux. Si les gens se parlent plus les uns les autres, ils remarqueront les incohérences. Discutez, enquêtez sur les couvertures. Les communautés résistantes seront protégées quand des petits groupes de personnes qui se connaissent et se font complètement confiance s’associent pour former un contre-espionnage actif. Étudiez le sujet et créez une procédure d’alerte dans la communauté.

Immunisez votre groupe

Tout le monde doit connaître la culture de sécurité et savoir qu’il ne faut pas parler à la police et que faire si la police vient frapper à la porte. Sans être désagréable, trouvez un bon compromis en accueil des nouveaux membres et relative paranoïa, posez-leur des questions pour faire connaissance. Nous devrions aussi immuniser nos familles et proches.

Enquêtez mais pas de fausses accusations

Les groupes ont besoin d’une procédure pour parler de ces soucis sans provoquer de paranoïa générale. Si un infiltré est soupçonné, un petit groupe de confiance doit enquêter rapidement. Si les doutes se confirment la personne doit être écartée des informations sensibles. Des opérations majeures peuvent être retardées le temps de l’enquête, sans l’annoncer publiquement. Si la personne est innocente elle ne sera pas accusée pour rien, et si elle est réellement infiltrées, mieux vaut qu’elle ne se doute pas qu’une enquête a lieu. Cherchez des preuves solides, sur leur parcours, contacts, actions, proches, emploi.

Prévenez les autres

Si vous avez des preuves solides et que vous voulez exposer la personne, prévenez le groupes mais aussi les camarades d’autres communauté pour pas que la personne puisse recommencer ailleurs. Chaque personne prend ses propres mesures de sécurité, comme le changement de clé et codes. Faites une enquête rétro-active pour revenir à la brèche et empêcher les prochaines infiltrations.

Ne forcez personne

Nous avons urgemment besoin d’action radicale, mais créez une communauté basée sur l’entraide, pas sur l’intransigeance et le harcèlement. Construisez un mouvement fort, communiquez avec vos allié·es et traitez ouvertement les problèmes d’oppression.

Évidemment si on regarde dans l’histoire des mouvements de résistance armés, découvrir et relâcher un agent infiltré pouvait entrainer la torture et la mort de nombreuses personnes. Que faire alors quand les résistant·es ne sont pas en mesure de faire de prisonniers ? La question de liquider les espions a parcouru les mouvements du passé en posant de problèmes moraux très lourds. Il y a d’ailleurs un grand danger à ce que les puissants utilisent ces règlements de compte pour détruire un mouvement grâce à des fausses accusations, et des morts innocentes. Des activistes courageux, courageuses, ont perdu la vie suite à de fausses accusations, ne prenez jamais ce problème à la légère.

 

4. LE SYSTÈME JUDICIAIRE

 

Les personnes au pouvoir essayer d’arrêter et de poursuivre les membres de la résistance pour des motifs banals ou sans lien. Ils utilisent la police et le système légal pour harceler et entraver et criminaliser les activistes. Ils font passer des lois sévères et des coûts très élevés pour appauvrir les opposant·es, ce qui peut aussi servir à recruter des informateurs.

Les arrestations arbitraires peuvent dévaster les mouvements en envoyant les activistes dans un labyrinthe judiciaire chronophage. Ce système sape le moral et détourne des objectifs de changement social. Certaines notes du FBI préconisent d’arrêter les dissident·es sur absolument tous les motifs possibles jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus payer les cautions et passent l’été en prison. L’usage de drogues et les délits non-politiques peuvent donc rendre les activistes plus vulnérables au harcèlement judiciaire.

De plus en plus de lois mettent à égalité le sabotage économique non violent avec le terrorisme armé. Certaines lois restent inutilisées pendant des décennies, jusqu’à ce qu’un jour un mécontentement populaire jaillisse. Pour en savoir plus sur les lois contre les écologistes, lire Green is the New Red.

Les activistes qui font face au système judiciaire ont besoin d’aide légale grâce à de bons avocats et de solidarité de la communauté. La première des solidarité est de ne rien dire à la police ou au tribunal, de garder le silence et refuser de donner des informations, même si la police a plus d’un tour dans son sac pour faire parler. Un mouvement efficace va attirer la répression, et donc la prison, surtout pour les organisateurs et les activistes sur le front. La solidarité avec les prisonniers doit être sans faille. Un mouvement qui ne soutient pas ses prisonniers est une comédie. Écrivez et soutenez les prisonniers, démystifier votre vision de la prison pour décider quels risques vous êtes prêt·e à prendre.

 

5. VIOLENCE EXTRAJUDICIAIRE

 

Parfois quand leur manipulation de ce qu’on appelle la « Justice » n’est pas suffisante, ou qu’ils n’ont pas le temps de créer des schismes internes, les agents du contre-espionnage peuvent menacer, frapper ou assassiner les activistes pour les forcer à se soumettre et pour en faire des exemples. Ils entrent chez les personnes par effraction pour confisquer ou détruire du matériel, casser, lyncher, tuer. Le but est évidemment d’effrayer les dissident·es et de perturber le mouvement. Cette violence n’est bien sûr pas limitée formellement aux leaders de la résistance, elle terrorise aussi tous les membres d’un groupe oppressé (comme dans les banlieues en France) pour maintenir la domination de ceux au pouvoir.

Parfois les agents du contre-espionnage vont commettre des assassinats et accuser les groupes résistants. Parfois le gouvernement ne fait pas tout le boulot lui-même et encourage la violence d’autres partis, comme des groupes paramilitaires et des milices fascistes.

Vous vous souvenez de Judi Bari du chapitre 3 ? Une écologiste, féministe et syndicaliste de Caroline du Nord engagée dans une campagne contre la déforestation. En 1970, le FBI a piégé sa voiture avec une bombe à clous, qui tua presque Bari en explosant. Immédiatement après la détonation, le FBI l’arrêta, la qualifia de terroriste pendant des mois en faisant semblant d’enquêter. Au même moment l’industrie du bois fit circuler de faux tracts au nom d’Earth First! qui appelaient à attaquer les ouvriers et les médias. Tous les médias ne furent cependant pas dupes et reconnurent la supercherie du tract.

Du fait de trop d’incohérences dans le dossier, les charges criminelles ne furent pas retenues. La même année Ralph Featherstone, un organisateur de Comité Étudiant Non-violent fut tué par une bombe dans sa voiture. Le FBI prétendit qu’il transportait une bombe mais ses collègues n’y crurent pas et firent un parallèle avec Judi Bari. Après des années de procédures judiciaires, en 2002, 6 agents du FBI furent reconnu coupables d’avoir monté ces deux accidents de toutes pièces.

L’État peut déployer une force écrasante à n’importe quel endroit. Les groupes à visage découvert et clandestins ne peuvent donc pas défendre de position fixe. Comment se protéger ? Ces groupes utilisent donc des stratégies différentes pour faire face à la violence extrajudiciaire.

Les groupes, qu’ils soient clandestins ou non, construisent leur force organisationnelle, la solidarité, l’entraide pour augmenter leur résilience. Des communautés doivent être formées pour apporter soutien aux personnes ciblées par la police et leurs familles. Les organisations ne doivent pas être structurées autour de deux ou trois personnes clés. Si vous avez des compétences ou connaissances uniques, partagez-les au maximum. Ainsi si le groupe perd quelqu’un, il peut continuer de fonctionner.

Si des groupes pensent pouvoir être la cible de violence, ils peuvent se protéger grâce à des gardes du corps, des sentinelles, des recherches de bombes ou autres pièges, changer fréquemment d’itinéraire et de lieux de rendez-vous, et si nécessaire devenir clandestins pendant un temps.

Les groupes à visage découvert peuvent bien sûr utiliser la violence de l’État à leur avantage, utiliser les médias pour exposer la violence étatique et maximiser le soutien du public. C’est plus compliqué pour les groupes clandestins qui se protègent en se cachant, en restant mobiles, et grâce à un sérieux contre-espionnage.

Les groupes qui ont utilisé les armes de façon dissuassive ont été prudents pour considérer ça stratégiquement dans un contexte plus large, car ce peut être à double tranchant et rendre la police complètement hystérique. La dissuasion armée peut fonctionner quand la sympathie du public est suffisamment grande, quand les résistant·es ont prouvé qu’ils et elles étaient compétents. Certains groupes dans l’histoire ont utilisé les armes pour faire des expéditions punitives avec l’espoir de décourager les prochaines attaques. Mais l’État étant si puissant et pour ne pas se laisser piéger dans un cycle de violence, il a été indispensable que les résistant·es aient la capacité d’escalader les punitions en conjonction avec d’autres stratégies de mobilisation de masse. Ce sont des exemples historiques et nous n’appelons pas s’attaquer aux personnes ni à former de groupes armés.

 

6. LOI MARTIALE ET CONTRÔLE DE LA POPULATION

 

Quand un mouvement de résistance est grand et a suffisamment de succès, les puissants peuvent mettre en place la loi martiale, des mesures contre-insurrectionnelles de sécurité trop importantes et envahissantes, des points de contrôle, comme c’est le cas en Palestine, ou dans tout pays totalitaire qui met en place des camps de concentration, c’est arrivé de nombreuses fois dans l’histoire.

Le but de ces contrôles étendus est d’intimider la population et de briser leur soutien à la résistance. Pour contrôler la population, le manuel américain de contre-insurrection suggère d’utiliser :

  • des recensements
  • des systèmes de pass, des cartes d’identité
  • des couvre-feu
  • des limites de temps de voyage
  • des limites et contrôle de visites de personnes venant d’une autre région
  • des points de contrôle sur les routes principales

 

Les lois martiales augmentent le pouvoir d’arrêter et d’emprisonner de la police et diminuent les droits civils pour pouvoir réprimer toute forme de résistance. Ce genre de chose peut paraître hors sujet pour des organisateurs dans des pays privilégiés. Mais nous assistons récemment à une augmentation de l’autoritarisme et de la xénophobie dans le monde, accentuée par les déplacement de réfugié·es, les crises et le changement climatique.

Et ne mettons pas de côté le privilège blanc. Par exemple aux États-Unis d’Amérique, 1 adulte sur 31 est sous une forme de contrôle correctionnel, mais ce ratio s’élève à 1 adulte sur 11 pour les personnes noires, parfois 1 jeune homme sur 3 dans certaines villes. C’est une forme de loi martiale invisible pour les personnes privilégiées.

Face à ces mesures, les mouvements de résistance ont plusieurs options. Les organisations à visage découvert et leurs allié·es peuvent utiliser cette répression pour augmenter leur soutien dans la population, faire appel à des problèmes partagés avec le public comme la vie privée, la liberté de circulation, la réelle sécurité etc. Des campagnes de désobéissance civiles peuvent être organisées contre ces mesures de contrôle, et les outils de contrôles peuvent être détruits. Certains groupes à visage découvert choisissent de passer dans la clandestinité.

Les groupes clandestins organisent leurs propres contre-mesures, comme la fabrication de faux papiers, des efforts pour contourner les points de contrôle et faire circuler clandestinement des activistes ou des personnes persécutées par le gouvernement.

 

7. CONCESSIONS PARTIELLES & COOPTATION

 

Quand toutes les autre méthodes pour réprimer la résistance ont échoué, il reste le fameux diviser pour mieux régner grâce à des concessions partielles et la cooptation. Les puissants peuvent offrir certaines concessions ou des « cadeaux » à certains segments de la population. Néanmoins cela ne doit pas être confondu avec une victoire en soi.

Pour toutes les personnes qui pensent encore qu’il faut utiliser la persuasion morale envers les gouvernements et les entreprises, que le pouvoir est un malentendu, l’analyse des stratégies de Stratfor est très enrichissante. Qu’est-ce que Stratfor ? Une société privée américaine spécialisée dans les renseignements. C’est une agence de renseignements qui aide les entreprises privées capitalistes à lutter contre les mouvements de résistance. Stratfor a eu notamment pour clients Nestlé, et des entreprises pétrolières faisant du profit dans l’apartheid d’Afrique du Sud. Wikileaks a révélé que Stratfor a eu pour employé Popovic, ce qui est toujours ennuyeux de le voir cité par des écologistes, ou des résistant·es quand on sait pour qu’il il travaille…

La formule utilisée par Stratfor et d’autres compagnies de relations publiques pour détruire les mouvements sociaux est la suivante : Diviser les mouvements en 4 parties : les radicaux, les idéalistes, les réalistes et les opportunistes.

  • Les radicaux. Les personnes radicales veulent un changement profond, elles sont les « activistes leaders fanatiques ». Elles veulent « la justice sociale et l’émancipation politique » et « voient les entreprises multinationales comme intrinsèquement mauvaises ». Les personnes radicales sont vues comme les plus dangereuses pour les personnes au pouvoir, parce qu’elles ne peuvent pas être achetées ou embrouillées, et parce qu’elles recherchent un changement à long-terme, elles n’abandonnent pas facilement après une défaite. Les personnes radicales ne peuvent être neutralisées qu’en les isolant de leurs sympathisant·es et du reste du mouvement.
  • Les idéalistes. Des personnes qui croient en une position morale pour elle-même, elles veulent voir « un monde parfait ». Stratfor les considère altruistes mais « naïves ». Les idéalistes sont crédibles auprès du public car ils et elles ont un pur altruisme, et c’est très puissant qu’ils et elles s’allient avec les radicaux. Mais la croyance idéaliste dans la perfection est aussi leur vulnérabilité. Stratfor et compagnie s’en occupent en brouillant les cartes (par exemple « C’est mieux de faire venir le pétrole du Canada plutôt que du Moyen-Orient. Si vous êtes contre les sables bitumineux, vous soutenez la violation des droits humains en Arabie Saoudite ! »). L’objectif est d’embrouiller les idéalistes, de rendre la perfection inatteignable, et de les convertir en réalistes.
  • Les réalistes. Dans le jargon de Stratfor, ce sont les personnes qui sont le plus prêtes à faire des compromis avec les institutions. Elles veulent des changements superficiels plutôt que profonds. Elles sont un type de personnes libérales qui peuvent être traitées « sérieusement » et projetées contre les idéalistes et les radicaux. L’approche de Stratfor est de coopter les activistes et groupes « réalises », en faire des participants dans des mascarades de coalitions, afin de donner un vernis de changement social au business as usual.
  • Les opportunistes. Ce sont les personnes qui recherchent des gains personnels comme l’argent ou la gloire. Certaines d’entre elles recherchent surtout un job alors que d’autres sont des vraies activistes qui cherchent la célébrité en même temps que les victoires superficielles. Les opportunistes changent leurs positions en fonction des tendances, elles gardent une approche libérale tant que ça peut leur apporter du respect et de l’argent, mais peuvent permuter vers une approche plus militante si le vent tourne ou qu’un scandale éclate. La doctrine de Stratfor est de les acheter en leur donnant un job ou une concession facile et superficielle en sachant qu’elles vont se désintéresser et passer à autre chose.

 

Ces 4 catégories sont imparfaites mais nous pouvons les utiliser pour comprendre comment les puissants essayent de démanteler nos mouvements. Nous pouvons utiliser les mêmes catégories que Stratfor et les inverser en nous demandant : « Comment pouvons-nous orienter chacune de ces catégories dans le but de rendre notre mouvement plus fort ? »

 

  • Les radicaux. C’est simple. Les personnes radicales sont les plus engagées en faveur du changement réel, notre objectif doit être de les connecter aux autres parties du mouvement (Seul l’isolement peut vaincre les radicaux).
  • Les idéalistes doivent être changées en radicaux en les connectant au mouvement de résistance vivants et à toute cette tradition d’actions qui ont créé de réelles transformations sociales.
  • Les réalistes. Nous devons leur faire comprendre que le seul chemin « réaliste » pour des progrès durables passent par des changements radicaux ; il peut y avoir des étapes intermédiaires sur le chemin de la victoire, mais le succès définitif n’arrivera qu’en déracinant les profonds systèmes de pouvoir.
  • Les opportunistes sont les personnes les plus dangereuses pour les mouvements de résistance, parce qu’elles utilisent parfois le langage radical ou militant mais sont en réalité inconstantes et prédisposées à se vendre. Leurs pires tendances doivent être limitées et contenues. Les opportunistes sont attirées par des positions de pouvoir où elles n’ont aucun compte à rendre. Se protéger des opportunistes passent par s’assurer que nos organisations locales ont des processus de décisions participatives. Et nous devons aussi construire des mouvements profonds avec des stratégies à long terme et des objectifs radicaux.

 

Les concessions partielles offertes par le pouvoir sont généralement calculées pour saper le mouvement de résistance et donner l’impression que celles et ceux au pouvoir ne sont « pas si mauvais » ou qu’ils et elles ont changé leur façon de faire. Le but est d’abord d’avoir l’air de concéder certaines demandes, et plus spécifiquement de diviser le mouvement entre celles et ceux qui veulent continuer de se battre et les autres qui acceptent de coopérer. Les bureaux de contre-espionnage vont pour cela essayer de comprendre les fractures possibles au sein d’un mouvement, ce qui peut diviser en suivant les différents seuils de ce qui est considérer comme un succès. Gagner des concessions n’est pas la même chose que remporter la victoire. Mais forcer à des concessions dans un système imparfait peut avoir de la valeur pour faire des progrès et construire le mouvement, la dynamique.

Le pouvoir peut aussi saper la solidarité en proposant les accords avec certains prisonniers et pas avec d’autres. Le gouvernement demanda par exemple à Nelson Mandela de renoncer au conflit armé. Il refusa toute forme de négociation, ainsi que toute proposition qui lui donnerait la liberté mais pas celle de ses camarades emprisonné·es. Il déclara « Seuls les hommes libres peuvent négocier. Les prisonniers ne peuvent pas signer de contrats ».
Parfois les offres de concession et de négociations, notamment avec les résistant·es indigènes, sont purement et simplement des pièges pour capturer et assassiner les leaders qui viennent discuter. Dans certains pays plus libéraux comme la France les concessions mènent à des mascarades de « consultation » et négociations. Les puissants nous flattent, nous font penser que nous faisons partie du processus. Ainsi nous dirigeons notre énergie dans des procédures gouvernementales chronophages et inoffensives.

Un mouvement de résistance ne gagne pas en laissant les puissants choisir les termes et les agendas, mais en perturbant le business as usual. Il ne gagne pas en s’asseyant poliment dans un hôtel de ville mais en portant les problèmes dans la rue. Cela ne veut pas dire que le mouvement ne doit jamais participer à des consultations. Mais s’il y a un signe que le gouvernement est prêt à faire des concessions, les manifestations et dérangements doivent augmenter.

Le plus grand danger est quand le pouvoir tente de coopter le langage, les causes et les programmes de la résistance. Par exemple le parti Nazi (National Socialiste) n’avait rien de socialiste et a fait tout son possible pour détruire les syndicats et les droits des travailleur·ses. Toutes les causes peuvent être cooptées avec un peu d’argent et l’aide de libéraux complaisants. La cooptation a été la technique la plus utilisée récemment contre les mouvements écologistes, les rendant inoffensifs grâce au greenwashing.

Les concessions et cooptations sont de loin l’attaque la plus difficile à gérer. Les gouvernements peuvent faire de réelles concessions, et beaucoup de personnes seront tentées d’accepter et d’arrêter de se battre. Pour contrer cette arme cynique, encore une fois les résistant·es doivent maintenir la solidarité. Quand c’est possible, les groupes doivent éviter d’accepter les concessions ou de négocier sans consulter les allié·es. Tant que tout le monde est solidaire, c’est difficile pour le pouvoir de faire quoi que ce soit. Mais si certain·es abandonnent, la solidarité se désintègre rapidement. C’est pourquoi le but, l’objectif ultime du mouvement doit être bien défini. Pourquoi luttons-nous au final ? Les groupes et mouvements doivent discuter et comprendre ce que signifie une victoire.

Comme nous l’avons vu dans ce chapitre, la plupart des techniques de répression consiste à séparer les combattant·es ou activistes sur le front du reste de la base qui les soutient. Quand cela arrive, les activistes vont manquer de ressources pour continuer la lutte. Pour gagner, nous devons surmonter la répression et créer une puissante base de soutien pour rendre le mouvement auto-suffisant. C’est de ça dont nous parlerons la prochaine fois.

 

Voilà la fin de ce troisième épisode consacré à l’ouvrage Full Spectrum Resistance d’Aric McBay. Merci d’avoir écouté et merci à l’auteur pour l’autorisation de mettre en ligne ce podcast. J’ai résumé au maximum, mais la partie sur les renseignements et contre-espionnage était tellement importante que cet épisode est un peu dense. Dans le quatrième épisode, nous parlerons de Logistique, de Collecte de Fonds, d’Actions, de Tactiques, de Stratégies et de Campagne, encore un programme ambitieux et passionnant. N’hésitez pas à partager cet article si vous l’avez trouvé intéressant. Vous pouvez retrouver l’intégralité de l’ouvrage Full Spectrum Resistance sur fullspectrumresistance.org. Il sera aussi traduit intégralement en français et publiés aux Éditions Libre en 2020.

Courage à toutes et à tous. À bientôt.

3 Comments

Écrire un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.