Full Spectrum Resistance 4/4 : Logistique, Tactiques, Stratégies 14 Déc 2019
TÉLÉCHARGER LE PODCAST
Dans ce quatrième et dernier épisode de la série consacrée à l’ouvrage Full Spectrum Resistance d’Aric Mcbay, nous allons parler du cœur de la résistance, de ce qu’il y a sûrement de plus excitant dans tout mouvement, il s’agit bien sûr de l’action. Nous allons donc aborder les questions de Tactiques et de Stratégies dans les chapitres 11 et 12. Mais avant de parler d’action, nous devons commencer par étudier ce qui rend matériellement possible les actions : la Logistique. Comment construire cette puissante base de soutien pour pouvoir rendre le mouvement auto-suffisant et mener des actions ? C’est ce que nous allons voir maintenant.
ARTICLE FORMAT PDF : FSR_Logistique | FSR_Tactique-Stratégie
Les graphiques sont en cours de traduction, merci pour votre patience
Chapitre 10. Logistique
& Collecte de Fonds
« Les amateurs étudient la stratégie. Les professionnels étudient la logistique » — proverbe militaire
Qu’est-ce que la logistique ?
Dans la vie de tous les jours, les gens utilisent le mot « logistique » pour parler vaguement de tous les petits détails. Mais en terme de stratégie, la logistique c’est plus précis. Il s’agit des déplacements de personnes, de l’approvisionnement d’équipements, et des services. Parfois la logistique est divisée entre mouvement, matériel et maintenance.
L’auteur cite l’exemple de la guerre du Vietman pendant les années 60 pour mettre en évidence l’importance de la logistique pour une mouvement de résistance. L’armée américaine qui a envahi le Vietman avait besoin d’un énorme approvisionnement pour ses infrastructures et ses forces. Chaque soldat américain avait besoin de 150kg d’équipement par jour, qui devaient être acheminés pour permettre l’invasion.
En face, les résistant·es vietnamien·nes n’avaient quasiment rien. Ils et elles n’avaient pas d’économie industrielle, mais avaient des terres. Alors ils et elles se sont enterrées. Les résistants ont développé des techniques de guérilla en creusant des tunnels pour se cacher sous la forêt, et récupéraient les déchets des américains pour fabriquer leurs propres pièges. Les infrastructures de l’armée de libération nationale se situaient presque entièrement sous terre, dans des tunnels que les américains avaient le plus de mal à déceler. L’armée américaine à incendié et bombardé les forêts du Vietnam. Quand une bombe n’explosait pas, les résistants vietnamiens allaient la récupérer pour la recycler et fabriquer des pièges et des grenades.
La force logistique des US fut aussi son point faible. Malgré son écrasante supériorité militaire, l’armée américaine fut forcée de quitter le pays. Et malgré son infériorité militaire, et au prix de souffrances, de courage, de techniques rudimentaires mais astucieuses, le Vietnam a mis en déroute l’armée la plus puissante au monde.
Que retirer de tout ça ? Que les conflits peuvent être excitants et dramatiques, mais que les victoires dépendent tout autant de la logistique que des stratégies et tactiques. Ceci fut valable qu’il s’agisse d’un mouvement armé clandestin ou bien d’une lutte strictement non-violente : les personnes qui engagent leur vie ou leur temps dans la lutte ont besoin de manger, d’un endroit où dormir, de se déplacer sur le lieu du conflit, elles ont besoin d’outils et de services. Pour les blocages de désobéissance civile de masse, la logistique consiste à nourrir les activistes, à apporter un soutien juridique pour les personnes arrêtées ou condamnées, des tracts diffusées dans la rue. Pour les mouvements de résistance armés, la logistique fut l’approvisionnement en munition, les cachettes et les soins médicaux.
La logistique est souvent négligée pendant les périodes calmes, pourtant elle peut devenir le principal obstacle à l’escalade d’une campagne. Les organisations ont besoin d’argent, mais quelles sont les solutions à disposition et quels sont risques associés ?
L’industrie des organismes sans but lucratif
Chaque source d’argent comporte des difficultés. La collecte de fond par la base est laborieuse, mais les dons généreux qui viennent de sources privées nécessitent souvent de faire des compromis. Les millionnaires qui ont fait fortune grâce à l’exploitation des « ressources naturelles » et des êtres humains sont devenus des philanthropes pour protéger leurs intérêts. Non seulement cela leur permet de payer moins d’impôts, mais c’est surtout un moyen de saper la résistance politique organisée au profit d’une charité pro-capitaliste. En choisissant qui sera financé et qui ne le sera pas, les fondations privées peuvent manipuler ou détruire certains mouvements sociaux.
Certaines associations, bourses et programmes de financement sont même spécifiquement étudiés et implantés pour coopter des organisations et des militant·es, et les détourner vers des positions réformistes. Les différentes positions au sein des mouvements sont ainsi exacerbées : les plus libéraux reçoivent des subventions et des budgets conséquents pour leur communication, tandis que les groupes plus radicaux doivent se débrouiller avec presque rien.
De plus, ce système incite à penser qu’être activiste doit ressembler à une carrière professionnelle. Les organisateur·trices les plus prometteurs sont attirés dans des carrières bien payées, loin de la base. Les organisations pour la justice sociale entrent aussi en compétition les unes avec les autres, elles ajustent, changent leur objectifs pour correspondre à ce qui a une chance d’être financé.
Alors que faire ? Est-ce que les organisations radicales doivent refuser toutes les subventions ? La réponse dépend d’abord du type d’organisation. Pour la sensibilisation et la prise de conscience, certaines organisations qui reçoivent des financements peuvent faire un travail important. Mais il ne faut absolument pas être naïf et imaginer que les donateurs qui mettent en place les fondations recherchent autre chose que leur intérêt personnel. Une autre réponse est que les groupes radicaux peuvent mettre eux aussi en place leur propre système de financement à la base, des collectes de fond, et ce n’est pas une honte. C’est un sujet sensible qui n’est pas abordé en priorité par les groupes radicaux, nous allons voir comment protéger à la fois notre intégrité morale et notre porte-monnaie.
Financement des groupes de résistance
Dans le chapitre sur le recrutement, nous avons vu les mouvements de résistance comme des cercles concentriques.
Une masse de base soutient le mouvement de loin, des auxiliaires aident ponctuellement l’organisation. Les cadres, leaders et combattant·es forment le cœur le plus dévoué du mouvement. Recruter c’est faire se déplacer les personnes vers le cercle intérieur, de sympathisantes à membre actives. Le financement fonctionne de la même façon. Une relation commence avec un groupe de personnes extérieures, à qui vous demandez de soutenir votre mouvement. Plus le temps passe, plus cette relation se renforce et vous pouvez encourager les personnes à faire des contributions plus grandes et régulières.
En bas de la pyramide, c’est la majorité des personnes sympathisantes, elles ont peu d’engagement, elles donnent peu d’argent, et n’ont pas besoin de beaucoup de temps de contact. En haut de la pyramide se situent les personnes qui s’impliquent le plus et donnent le plus d’argent, et ont besoin qu’on leur consacre beaucoup de temps. Il y a une relation directe entre le temps et l’argent : pour recevoir beaucoup d’argent, il faut y passer beaucoup de temps.
Les premiers dons à votre organisation peuvent arriver lors de ventes ou d’évènements. Ces petits dons doivent d’abord former la base du financement. C’est facile car les personnes qui donnent reçoivent quelque chose de concret en échange. Avec le temps, vous encouragez les personnes à s’impliquer un peu plus pour qu’un petit nombre devienne des donateurs plus importants. La grande majorité des personnes qui font des dons importants ont d’abord fait de petits dons pendant quelques années.
En tant qu’activistes, et particulièrement les radicaux, nous travaillons souvent dans une bulle avec des personnes qui pensent comme nous. Des relations d’amitiés se créent, des engagements forts, basés sur la confiance. Mais le périmètre de ce seul petit groupe doit être dépassé pour financer des organisations efficaces. Le financement est bien sûr quelque chose qui nous dégoute, à juste titre, quand on ne veut pas reproduire les structures d’un système capitaliste que l’on cherche à dépasser. De plus, ce n’est pas facile de parler de sujets radicaux à des inconnu·es ou des voisin·es, encore moins de frapper à leur porte pour leur demander de l’argent. Mais sans réfléchir à la logistique, les questions stratégiques sont des paroles lancées en l’air. Il est donc très important pour les radicaux d’apprendre à construire cette base de soutien logistique, qui va de paire avec le travail de sensibilisation sur les sujets qui nous animent.
Pour nous aider à apprivoiser ce sujet, voici quelques raisons pour lesquelles les personnes acceptent de donner de l’argent :
- Elles ont confiance. Le plus important n’est pas d’attirer la pitié, ni de convaincre absolument, mais d’inspirer la confiance grâce à une attitude positive. Si vous avez confiance en vous-mêmes, les gens voudront vous aider.
- Elles vous aiment bien. Elles donnent plus parce qu’elles ont une connexion avec vous, avec votre personnalité, votre sérieux, ou vos histoires personnelles, plutôt que par le problème contre lequel vous vous battez.
- Elles se sentent coupables. Elles savent qu’elles devraient faire quelque chose concernant le problème, mais elles ne savent pas quoi.
- Elles ont peur de l’avenir. Elles ont de bonnes nombreuses raisons d’avoir peur de l’industrie et de la pollution, pour elles-mêmes ou leurs enfants.
- Elles veulent faire comme les voisins. Si les voisins donnent, elles auront aussi envie de participer.
Voici donc quelques conseils pour la collecte de dons.
Apprenez à entrer en contact avec les gens.
Soyez amicaux, enthousiastes, ayez confiance en vous-mêmes. Regardez dans les yeux et souriez. Ne mendiez pas, soutenir votre organisation ne doit être ni une obligation, ni de la charité, mais un privilège. C’est vous qui leur faites une faveur.
Soyez crédibles.
Vous serez plus crédibles si vous disposez d’un compte bancaire, si vous pouvez accepter les chèques et si vous émettez des reçus numérotés. Votre apparence, votre approche et vos documents doivent être cohérents. La conversation se termine très souvent juste après avoir remis un document, attendez donc la toute fin avant de le donner si vous en avez un.
À un moment, il faut demander de l’argent, de préférence à la fin. Rendez le don le plus simple possible. Demandez un montant spécifique, mais vous pouvez préciser que toute aide est appréciée. Soyez clairs avec ce à quoi va servir l’argent. Si votre cause a l’air vague ou mal organisée, les gens ne donneront pas.
Vous allez devoir vous entraîner, surtout pour les radicaux et anticapitalistes, car demander de l’argent est un exercice très désagréable. Malheureusement nous vivons encore dans une société basée sur l’argent et ça doit être pris en compte. Attendre les bras croisés que les dons et les approvisionnements arrivent d’eux-mêmes n’est pas un service que vous rendez à votre groupe.
Le caractère
Solliciter les gens, c’est essuyer de nombreux refus. Tout le monde ne peut pas le faire car certaines personnes dépriment quand elles se font rejeter. Trop montrer ses émotions ou ne pas assez les montrer peut poser problème. Ceci dit, aller demander des dons en dehors de notre cercle politique et rester enthousiaste renforce parfois notre caractère.
À qui demander ?
Commencez par les personnes que vous connaissez. Et puis envisagez la recherche de donateurs comme n’importe quel autre travail de renseignement : réfléchissez aux meilleurs quartiers, des gens qui peuvent soutenir votre cause. Des personnes jeunes, avec des enfants etc. Les quartiers riches ne sont pas les plus généreux, et méfiez-vous des pelouses trop propres.
Construisez des mouvements
La collecte de dons est un bon moyen pour construire des mouvements. Beaucoup de radicaux sont effrayés à l’idée de parler politique avec des personnes inconnues. Mais le contact en face-à-face est très importants pour les groupes radicaux. Les puissants essayent de nous discréditer dans les médias en nous faisant passer pour des personnes violentes, extrêmes, stupides… Poser un visage rationnel et bienveillant sur des idées radicales ne va pas vous discréditer en tant qu’individu, mais va construire de la crédibilité pour le mouvement.
En fait, demander de l’argent pour une organisation est le meilleur moyen de trouver et identifier des personnes qui partagent nos valeurs. Et cela nous force à apprendre à communiquer à la fois ce que nous avons achevé et ce que nous voulons achever. Le but de la collecte n’est pas de faire changer d’avis les personnes mais plus de trouver celles qui partagent de mêmes opinions.
Messages radicaux
Faire une collecte de dons de masse est un défi pour les groupes radicaux, car ils doivent rendre intéressants leur objectif, leur problème. Bien sûr ce n’est pas évident d’aller frapper à la porte d’inconnus pour leur parler de sujets qui ont été socialement marginalisés. Il n’y a pas de solution toute faite, il faut se lancer, essayer, et voir ce qui fonctionne, quelles histoires intéressent le plus les gens. Mais au bout du compte, une attitude militante ou radicale peut vraiment fonctionner lors d’une collecte à condition de réellement croire que votre groupe fera la différence. Les groupes radicaux peuvent obtenir de nombreux dons en se différenciant des groupes libéraux qui s’attaquent aux même sujets. Ils peuvent par exemple montrer qu’ils sont plus courageux ou plus efficaces en s’attaquant aux racines du problème.
Si vous avez le cran, vous pouvez aller parler d’anticapitalisme dans les quartiers riches. Vous allez énerver les gens, vous prendre beaucoup de portes au nez, mais les personnes qui vous soutiendrons seront de grand sympathisants qui vous respecteront pour votre courage.
Créez des relations et escaladez
La première année est la plus difficile, il faut du temps avant d’instaurer des relations de confiance, et essuyer beaucoup de refus. À partir de la deuxième ou troisième année, quand on dispose d’une base de personnes qui soutiennent le groupe la situation est plus facile. D’abord psychologiquement car on sait qu’on reçoit du soutien, et financièrement car des dons plus importants peuvent arriver.
Il faut pour cela garder le contact avec les personnes qui soutiennent et les tenir au courant des victoires du groupe.
Différentes sources de financement
Pour commencer une collecte, il faut déterminer de combien d’argent le groupe a besoin et quelles sont les sources de financement les mieux adaptées au groupe. Une diversité de sources permet au financement d’être plus stable. Voici quelques exemples :
Petits dons
Le premier contact devrait se faire par une approche personnelle, en face à face. Les petits dons nécessitent beaucoup d’effort mais ils sont les fondations d’une organisation locale. Les dons importants et les subventions offrent des opportunités intéressantes mais risquent de laisser trop de pouvoir à un petit groupe d’individus. Alors que qu’une grande quantité de petits dons forment une réelle base, et une communauté à laquelle le groupe est redevable.
Évènements et ventes
Des évènements comme des projections de films, des conférences, des concerts etc. peuvent être des sources de financement importantes pour certains groupes. Un évènement bien organisé peut parfaitement correspondre à votre base, peut être renouvelé et amélioré. Mais attention car ces évènements peuvent aussi devenir des gouffres en terme d’énergie, de temps, et parfois d’argent en cas d’échec.
La vente de produits peut aussi être une alternative au risque d’un seul gros évènement. Attention néanmoins aux coûts de production, de stockage, de transports qui peuvent aussi détourner le groupe de ses objectif. Privilégier des objets plutôt symboliques (comme des cartes, autocollants, badges etc), ou même une loterie pour réduire les frais.
Cotisations
Les cotisations et abonnements sont le cœur le plus stable d’une organisation qui part de la base. Pour les petites organisations, les membres peuvent vendre des adhésions en personne. Non seulement les cotisations ou adhésions apportent un soutien matériel stable, mais elles augmentent le pouvoir politique du groupe.
Les mouvements de résistance sont souvent basés sur des adhésions payantes. Par exemple les Deacons for Defense avaient des frais d’adhésion de 10$ puis des cotisations mensuelles de 2$. Les personnes qui donnent sont souvent appelées « soutiens » car elles n’ont pas forcément besoin ni envie d’être des participant·es actif·ves, elles donnent car elles ne veulent rien faire d’autre. Bien sûr les dons pour la résistance n’incluent pas seulement l’argent mais peuvent être sous forme d’approvisionnement en matériel, équipement, locaux, etc.
Bourses, subventions et dons importants
Cela dépend des activités et objectifs du groupe, mais les bourses de certaines fondations ou institutions sont parfois accessibles. Elle peuvent valoir le coût si elles sont faciles à obtenir et qu’elles permettent de faire des actions qui ne seraient pas possible autrement. Les dons importants arrivent avec le temps, après avoir construits des relations de confiance et des visites sur la durée.
Fonctionnement plus efficace
- Réduire les dépenses est parfois aussi important que de collecter des dons. Mais ce dont les révolutionnaires manquent le plus souvent, ce n’est pas de l’argent mais du temps disponible. Voilà quelques stratégies possibles pour trouver du temps libre pour le groupe :
vivre en communauté, en colocation - Avoir une vie simple, autosuffisante
- Trouver des jobs bien payés à temps partiel
- Travailler pour une institution ou ONG et utiliser les heures de travail pour aider un peu le groupe
- Recevoir de l’aide de la famille ou des ami·es
- Être payé·e pour parler, écrire ou enseigner à propos de sujets radicaux
Expropriation et activités illégales
Lorsque des groupes rejettent l’autorité légale, il y a une certaine logique à utiliser l’expropriation comme une source de financement (par exemple Robin des bois). De plus, les groupes clandestins bénéficient déjà d’une infrastructure sécurisée pour les actions illégales. Les squats, le vol à l’étalage, ou petites combines ne sont pas trop risqués. Certains mouvements du passé ont imprimé de la fausse monnaie. Parfois les groupes anticapitalistes utilisent l’expropriation publique (de nourriture, de matériel, de terres) à la fois comme une forme d’action et comme support logistique.
Certaines organisations sont allées plus loin, jusqu’au vols de voiture, attaques de fourgons, braquages de banque, trafic de drogue. Mais c’est un chemin très dangereux pour un mouvement, car ça devient difficile de conserver un certain niveau moral, sans parler des nombreux problèmes liés au recrutement des personnes qui veulent s’impliquer dans ce genre d’activités criminelles.
Par ailleurs, les petits délits sont une mauvaise idée pour les personnes clandestines qui veulent faire profil bas. Et les groupes à visage découvert doivent faire attention avant d’enfreindre des lois pour éviter d’être trop facilement diabolisés par les puissants.
Logistique révolutionnaire
Quels sont les besoins logistiques ?
- Les besoins de base des membres : alimentation, habits, logement, etc
- L’équipement nécessaire au conflit : mégaphones, bannières, antivols etc pour les actions directes non-violentes. Pour les guérillas cela inclurait plutôt des armes, munitions, explosifs, etc
- Entretien et stockage
- Transport des personnes et des équipements
- Installations : lieux d’entrainement, de rencontre, cantines, etc
- Aide médicale et premiers secours
- Soutien pour les familles des résistant·es
- Autres services importants (communication, énergie, etc)
Comment planifier la logistique
- Évaluation des besoins. Quel genre de logistique ? Quelle quantité ? Les personnes qui s’occupent de la logistique ont besoin de savoir ce qu’elles doivent fournir, et les personnes mobilisées sur l’action ont besoin de savoir si la logistique dont elles ont besoin sera disponible.
- Réserves avant le conflit. Les groupes accumulent les provisions nécessaires aux opérations, avec de la marge pour faire face aux imprévus.
- Pré-conditionnement. Les provisions sont conditionnées de façon à ce quelles soient utilisables et transportables facilement pour les personnes sur le terrain.
- Cachettes préparées avant le conflit. Les provisions sont placées au plus proche du conflit. Elles ne sont pas cachées toutes au même endroit pour éviter la capture ou la destruction.
Les principes clés de la logistique
- Prévoyance : Anticiper les besoins pour éviter la confusion et la pénurie
- Économie : Minimiser la consommation des ressources
- Souplesse : Faire avec les moyens du bord
- Simplicité : Utiliser des systèmes d’approvisionnement basiques et fonctionnels
- Coopération : Partager les systèmes logistiques et les ressources quand c’est possible
- Auto-suffisance : Mettre en place des chaînes d’approvisionnement courtes et locales
La résistance construit son propre système logistique révolutionnaire tout en détruisant le soutien logistique de l’adversaire. Les mouvements de résistance efficaces de l’histoire étaient basés sur des technologies simple et des économies à l’échelle communautaire. Pour réussir dans un contexte d’effondrement économique et industriel, des mouvements de résistance à visage découvert ont eux aussi besoin de développer des moyens locaux de subvenir aux besoins en nourriture, eau, abris, etc.
La logistique est une catégorie coûteuse, c’est pourquoi la majorité des personnes dans les mouvements de résistance passent leur temps à s’en occuper, et que seulement un petit pourcentage est sur le front. La logistique est essentielle pour passer de la dissidence à la résistance active. Les militant·es passionné·es qui se focalisent trop sur le conflit négligent parfois le soutien matériel nécessaire pour mener à bien ce conflit. Les campagnes et organisations efficaces ont besoin d’une puissante base de soutien. Si un groupe échoue à développer cette capacité logistique, il est limité aux actions les plus basiques, ponctuelles et de petite échelle.
Comme dans l’exemple du Vietnam, la logistique d’une organisation de résistance est très différente de celle d’une armée conventionnelle. Les armées régulières ont besoin d’entrepôts, de convois de transport, elles ont besoin d’énormes capacités pour se déployer et occuper un vaste territoire. Les mouvements de résistance au contraire sont très localisés. C’est particulièrement vrai pour la logistique de guérilla qui se contente de stockages clandestins, de cachettes, de distribution décentralisée très mobile et créative. Elle peut exploiter les failles d’une armée régulière, de ses routes, de ses chemins de fer et de son économie industrielle qui constituent autant de cibles potentielles.
Il y a d’autres raisons pour lesquelles les militant·es peuvent manquer de soutien logistique, c’est parce que les combattant·es dénigrent parfois les personnes qui travaillent pour la justice sociale et qui peuvent fournir les services ou le travail d’organisation de la communauté. Ces personnes peuvent fournir l’aide et les conseils logistiques pour les personnes sur le front, mais c’est impossible si les militant·es jouent au plus radical et n’établissent aucune relation avec les personnes modérées. Par ailleurs la logistique est sous-estimée dans l’histoire des mouvements de résistance car elle a bien souvent été l’œuvre des femmes. C’est un énorme travail invisible qui s’efface sous les exploits guerriers, pourtant les capacités logistiques ne se construisent pas en une simple nuit. Les infrastructures de résistance se développent parfois plusieurs années en amont du début des hostilités.
Nous avons vu dans ce chapitre à quel point la logistique est primordiale pour envisager les questions de stratégie et de tactique. Les combattants et combattantes ne peuvent pas se battre s’il n’y a pas les moyens matériels de soutenir la lutte. Et disposer de grandes quantités de matériel et de personnes est inutile si vous ne pouvez pas déplacer ces personnes et ce matériel efficacement là où il faut, au moment où il faut. Les actions efficaces, les tactiques efficaces, émergent des communautés de résistance et nécessitent les capacités de soutien que nous venons de décrire.
Dans les deux chapitres suivants, nous allons maintenant parler d’action plus en détail. L’action est le but ultime d’un mouvement de résistance. Le chapitre 11 se concentre sur la tactique, le niveau le plus détaillé du conflit, tandis que le chapitre 12, sur la stratégie, s’intéresse à une vision plus globale en terme de campagnes. Mais en réalité, la tactique et la stratégie ne fonctionnent pas séparément. Les tactiques ne peuvent être évaluées que dans le cadre d’une bonne stratégie, et les stratégies sont basées sur les tactiques disponibles. Voilà pourquoi ces deux derniers chapitres forment une paire.
Chapitre 11. Actions et Tactiques
« Ce n’est pas l’oppressé qui détermine les moyens de résister, mais l’oppresseur » —Nelson Mandela
Aric McBay raconte qu’en tant que jeune activiste on lui a enseigné des connaissances tactiques (comment tenir une barricade, comment se protéger des lacrymos, comment écrire un communiqué de presse), ainsi qu’une analyse politique sur l’économie, l’état, le capitalisme. La tactique et l’analyse politique sont très importantes, mais sans solides connaissance sur l’organisation, sans perspectives stratégiques , le flot continu de mauvaises nouvelles sur les atrocités et les destructions dans le monde peut devenir déprimant, démobilisateur. Nous devons étudier, pratiquer et enseigner la stratégie.
Principes stratégiques et tactiques
La stratégie de résistance commence avec la compréhension que les dirigeants ont beaucoup plus de ressources que nous (armes, tanks, grands médias, police anti-émeute), et que dans une bataille rangée, ceux au pouvoir gagneront presque toujours. Les mouvements de résistance réussissent en étant rusés, en engageant leur ennemi aux lieux et moments où ils peuvent gagner. Ces principes tactiques et stratégiques ont été développés pendant des milliers d’années de conflits, que ce soit les guérillas, les grèves et les campagnes de désobéissance civile. Ils ont été exprimés par Sun Tzu, Clausewitz, par les partisans soviétiques et les guérillas d’Amérique latine, par les formateurs à l’action directe non-violente et les théoriciens militaires. Ils sont étudiés par les officiers de l’armée et les commandants de guérillas, car si ces personnes ne suivent pas une bonne stratégie, les conséquences sont immédiates, évidentes et sanglantes. Mais trop de mouvements sociaux modernes oublient ces principes parce qu’ils se basent sur le lobbying plutôt que sur la perturbation, et parce qu’ils ne s’attendent pas à gagner.
Voici 11 principes stratégiques et tactiques pour l’action directe et la perturbation. Ils ne sont pas utilisés dans chaque conflit mais un mouvement de résistance efficace en utilisera plusieurs suivant la situation.
1. Objectif clair
Les résistant·es passent à l’action avec des objectifs clairs et atteignables à l’esprit. Dans l’idéal, cet objectif est décisif. Ce but motive les membres, et définit la structure, les stratégies et tactiques du mouvement.
Les objectifs à long terme sont faciles à déterminer (par exemple la paix mondiale), mais si les objectifs à court terme ne sont pas définis clairement, alors la campagne risque de s’arrêter. Les objectifs à court terme doivent être atteignables dans un futur proche afin d’encourager le groupe à continuer. Ils doivent être mesurables, avec une échéance, et doivent être un pas significatif vers l’objectif à long terme.
Si l’objectif est clair, les résistant·es peuvent examiner leur action passée et déterminer si du progrès a été réalisé. Les stratèges militaires distinguent 3 différents types d’opérations :
- Opérations décisives : elles accomplissent directement l’objectif final
- Opérations de mise en forme : elles changent les conditions de la lutte pour rendre la victoire plus probable
- Opérations de soutien : elles aident les opérations décisives ou de mise en forme
Par exemple pour un groupe de guérilla sous l’occupation nazie en Europe, les opérations décisives pouvaient signifier assassiner les officiers Nazi, les opérations de mise en forme pouvaient être la distribution de presse clandestine, et les opérations de soutien pouvaient être l’attaque d’un poste de garde pour les munitions. Chaque action de résistance a besoin d’un objectif tactique clair qui permet d’avancer dans la stratégie globale.
Voici quelques objectifs clairs possibles :
- Action directe décisive. Accomplir quelque chose directement (gêner, bloquer quelque chose, prendre un territoire, détruire une cible, se défendre)
- Dissuasion : Une menace, une démonstration de force pour décourager les dirigeants de faire des mauvaises actions, pour réduire les risques de répression.
- Escalade : Faire grandir les enjeux, la radicalité pour maintenir l’avancée d’une campagne (ex Fenêtre d’Overton)
- Renforcement et accentuation : Une action directe qui rappelle que le problème est toujours présent, ou pour désigner une cible en particulier
- Moral et acte de défi : Après avoir subi un revers, une action directe peut remonter le moral et renouveler la lutte.
- Solidarité : Aider les luttes des allié·es pour construire des relations, des réseaux et renforcer le mouvement.
- Recrutement : Certaines actions à faible risque permettent d’inviter des nouvelles personnes pour qu’elles s’engagent.
- Entrainement et renforcement des capacités : Aider les personnes à pratiquer et se familiariser à de nouvelles méthodes d’action, à se radicaliser, à planifier des actions plus ambitieuses que dans le passé
- Communication : Envoyer un message ou attirer l’attention, des gens, des dirigeants, des allié·es.
- Expérimentation et créativité : Casser la routine, partager de nouvelles idées, inspirer grâce à des actions insolites.
- Provocation : Provoquer une réponse des personnes au pouvoir, ou les distraire, les manipuler, les tourmenter.
- Récolter des informations.
- Obtenir des ressources : pour améliorer le soutien logistique
Une bonne tactique permet d’accomplir plusieurs des points précédents. Presque toutes les actions directes fructueuses arrivent dans le contexte d’une campagne. Ce qui signifie que du travail politique (et pas seulement logistique) a été fait en amont. Un débat revient souvent, est-ce que les actions doivent être ou non «symboliques » ? L’histoire de la résistance montre que les actions directes décisives doivent être une priorité quand elles sont possibles. Mais la plupart des actions ont aussi une composante symbolique, elles envoient en même temps un message, que ce soit de la solidarité envers les camarades, un avertissement pour les puissants, ou un appel au défi en général.
Dans l’idéal, une action est planifiée pour que chaque issue possible achève certains objectifs stratégiques. Et dans l’idéal le juste équilibre est trouvé entre des objectifs atteignables à court terme et une stratégie qui a du sens sur le long terme.
2. Attaque / Initiative
Le combat de guerre, et par extension les actions moins violentes, dépendent de quelques règles générales.
- On ne gagne que grâce à l’attaque. Même si on doit être capable de bien défendre, on ne gagne pas en s’asseyant et en laissant l’opposition faire ce qui lui plaît, mais en attaquant.
- On doit chercher à initier le combat selon nos propres termes : à décider où, quand, et comment il aura lieu.
- L’initiative est la clé. On doit chercher à avoir l’initiative et à ne jamais l’abandonner si c’est possible.
- On doit chercher à construire le mouvement rapidement et à gagner de façon décisive.
3. Concentration
Les forces éparses et isolées sont facilement écrasées et défaites. Les résistant·es efficaces concentrent leurs efforts pour avoir une force écrasante là où c’est important. Ils et elles convergent sur les points les plus efficaces, où leurs actions auront le plus d’impact, sur les points faibles de ceux au pouvoir.
C’est par exemple ce qu’ont appris les résistant·es Irlandais·es après le Easter Rising. Ils ont d’abord engagé leur forces pour occuper des bâtiments du gouvernement, en sacrifiant leur mobilité et flexibilité. Ce choix les a engagé dans une action de longue durée où ils se sont retrouvés dépassés par l’adversaire, beaucoup plus puissant. Ce n’est qu’à partir du moment où ils ont changé leur approche (isoler et attaquer des plus petites cibles avec leur force écrasante) que le conflit a basculé en leur faveur.
Trop souvent, les dissident·es politiques combattent sur le terrain de l’ennemi suivant ses règles. Les requêtes parlementaires, les tribunaux, les doléances publiques… tout cela est conçu pour que les dissident·es aient le moins de chance de réussir. Pour un mouvement de résistance, augmenter ses chances c’est choisir les tactiques qui lui permette de maximiser ses forces. Et les tactiques disponibles dépendent du nombre de personnes prêtes à passer à l’action.
4. Mobilité / Flexibilité
Pour gagner, les résistant·es doivent être capable de s’engager là où leur force est supérieure, en utilisant les tactiques qui leur donnent l’avantage. Cela peut signifier être physiquement mobile, ou faire preuve de flexibilité et agilité tactique. Les mouvements de résistance devraient être capable de changer rapidement entre différentes tactiques, d’en utiliser de nouvelles, de délaisser celles qui sont inefficaces, de varier leur « mix tactique ».
Les mouvements efficaces maintiennent cette flexibilité nécessaire en évitant d’avoir une approche doctrinaire ou puriste des tactiques. Ils ajustent leur tactiques selon les circonstances, et autorisent les personnes à utiliser une variété de tactiques appropriées à la situation.
5. Coordination
Une forme de coordination et de prise de décision efficace est nécessaire pour unir les forces, que ce soit pour les actions individuelles ou pour les plus grandes stratégies de campagne. Les résistant·es désorganisé·es sont facilement isolé·es. Les guérillas armées ont souvent une unité de commande, une hiérarchie militaire est en place durant le conflit. Même les groupes anti-autoritaire ont besoin d’un processus de décision pour réagir rapidement pendant les urgences tactiques.
Un processus efficace de prise de décisions est encore plus important pour les groupes résistants que pour ceux au pouvoir. Une armée d’occupation est plus puissante que la résistance même si elle est mal administrée. Les résistant·es doivent maximiser leur coordination pour utiliser au mieux leur faible nombre et faible force politique. Le processus de décision n’a pas à être hiérarchisé ou unifié. Qu’il soit orienté vers la commande, ou plutôt participatif, le plus important est qu’il soit adapté à la tâche à accomplir. Des méthodes qui nécessitent trop de discussions peuvent causer des problèmes, tout comme celles qui sont trop directives.
6. Surprise
La surprise est fondamentale pour toute action perturbatrice. La résistance combat souvent de grandes bureaucraties organisées de façon très formelle. Elles sont puissantes mais lentes à répondre. L’élément de surprise peut exploiter cette faiblesse pour prendre l’avantage tactique et stratégique.
La surprise est un outil puissant pour toute sorte de mouvement de résistance. Les guérillas armées utilisent des attaques surprises, des embuscades. Les groupes non-violents utilisent la surprise pour multiplier l’effet de leurs actions. Elle n’est pas seulement importante d’un point de vue tactique, mais aussi d’un point de vue stratégique : une nouvelle tactique inattendue sera imitée et diffusée dans le reste du mouvement, donnant un avantage temporaire à la résistance.
7. Simplicité
Les bons plans sont des plans simples. Une expression dit qu’aucun plan ne survit au contact de l’ennemi. Les plans inutilement complexes se désagrègent rapidement en cas de changement rapide des circonstance du conflit. Ils sont difficiles à communiquer, et prennent trop de temps de discussion quand le consensus est nécessaire. Les plans simples exécutés dans les temps sont meilleurs que les plans détaillés exécutés en retard. En situation d’urgence, seulement les plans simples fonctionneront.
8. Planification prudente
Les actions irréfléchies gaspillent du temps et des ressources, voilà pourquoi les mouvements de résistance planifient souvent en avance, avec précaution. C’est encore plus valable pour les actions de groupes décentralisés, pour pouvoir faire face aux différents imprévus sans structure de commande. Les organisateur·trices envisagent différentes options et éventualités pour planifier une action et être sûr·es d’avoir les plus grandes chances de succès. Cela incluent notamment les renseignements, la reconnaissance, s’assurer que la logistique est disponible, l’entrainement des participant·es, etc.
9. Exécution décentralisée
Les mouvements de résistance sont rarement concentrés ou monolithique ; ils sont souvent constitués de nombreux petits groupes, parfois éloignés géographiquement. Ils ont rarement une commande hiérarchique claire et unifiée. Et comme ils ne peuvent remporter de batailles rangées, ils maximisent leurs forces en déployant un grand nombre de petites actions décentralisées.
La stratégie peut être améliorée grâce à une planification centralisée, mais les tactiques sont souvent plus efficaces quand elles sont décentralisées. Une multitude de groupes décentralisés ou semi-autonomes n’est pas encombrée par la logistique des grosses organisations centralisées. L’exécution décentralisée permet un plus haut niveau d’agilité tactique et d’imprévisibilité stratégique.
10. Action de courte durée
L’action de courte durée est une caractéristique primordiale de la guérilla. Les guérillas ont besoin de combiner les actions de courte durée avec la surprise pour tendre une embuscade, détruire ou voler une cible, et disparaître avant que les renforts ennemis arrivent. Des actions courtes et fréquentes sont plus faciles à réaliser, et plus perturbatrices qu’une seule action parfaitement planifiée et organisée.
Les occupations et blocages de longues durée ont leur place mais doivent être initié après un examen attentif. Les occupations peuvent ralentir les mauvais projets et servir de point de ralliement, mais peuvent devenir une routine fastidieuse si aucun progrès n’est fait. Une action ne devrait pas être ennuyeuse. Les perturbations sont mieux accomplies lorsque c’est rapidement, mais il ne faut pas pour autant être dogmatique car dans certains cas c’est l’action de longue durée qui est plus adaptée.
11. Actions multiples
Les résistant·es utilisent souvent une multitude de petites actions, surtout des actions simultanées, pour submerger ceux au pouvoir. Les actions simultanées sont particulièrement efficaces quand elles respectent les principes de courte durée, de simplicité et d’exécution décentralisée. Et s’il y a un problème avec une des actions, les autres actions vont probablement réussir.
Ces différents principes évoqués ci-dessus ne sont pas à appliquer à la lettre mais suivant la situation. Il sont des schémas récurrents qui aident à amplifier la force de perturbation qu’un groupe peut déployer. Si votre groupe ou votre situation vous empêchent d’utiliser un principe efficacement, demandez-vous quel autre vous pouvez utiliser. Les tactiques qui fonctionnent utilisent souvent ces principes, que ce soit consciemment ou pas.
Bien choisir sa cible
Voici 5 critères de sélection utilisés pour évaluer et prioriser les cibles potentielles. Ces critères viennent des militaires, mais sont transposables dans les luttes non-violentes ou n’importe quelle campagne de perturbation ou de confrontation, qu’il s’agisse de sabotage ou de sit-ins de masse.
- Accessibilité : Est-ce que la cible est facile d’accès ? Les cibles accessibles peuvent être atteintes avec le moins de problème et de désordre possible.
- Vulnérabilité : Est-ce que la cible est facile à déranger, à bloquer, à détruire ?
- Réparabilité : Combien de temps nécessaire avant que ceux aux pouvoir puissent refaire fonctionner la cible normalement ? Une vitrine de magasin est facilement réparable, alors qu’un équipement très cher, rare, spécialisé prendra beaucoup de temps.
- Criticité : À quel point la cible est-elle importante pour le système de pouvoir ? Les cibles très critiques vont causer d’importantes perturbations ou confusion, comme par exemple une centrale électrique ou une autoroute.
- Menace : Dans quelle mesure la cible constitue une menace ou un dommage à notre camp ?
Une erreur courante des mouvements inexpérimentés est de s’attaquer à des cibles accessibles et réparables qui ne sont pas très importantes (comme casser la vitrine d’un magasin). Cela peut faire beaucoup de bruit sans provoquer de perturbation conséquente.
Cependant, selon l’objectif de l’action, l’importance d’une cible peut être aussi bien symbolique que matérielle. Par exemple imaginons que vous essayez de fermer une série de décharges toxiques. Si vous voulez en bloquer une, vous allez peut-être en bloquer une qui est déjà très célèbre, plutôt que simplement la plus grande, parce que l’attention que vous allez recevoir peut vous aider à mobiliser plus de personnes et de ressources et continuer votre campagne.
Un autre critère qui peut être important pour un mouvement de résistance est que la cible soit visible. Cela augmente les chances que l’action en inspire d’autres ou serve de propagande par le fait.
Planifier une action
Alors de quoi avons-nous besoin pour planifier efficacement une action? Voici quelques questions à se poser, valables pour des actions de perturbations ou autres.
Quel est notre objectif opérationnel ?
Les bonnes tactiques découlent des bonnes stratégies. Choisissez un objectif qui soit décisif, de mise en forme, ou de soutien. Puis faites un brainstorm de toutes les tactiques et cibles potentielles pour atteindre cet objectif.
Quelle notre cible et notre tactique ?
Dans la liste de cibles potentielles, évaluez-les suivant les critères d’accessibilité, vulnérabilité, criticité, etc. Soyez clair·es sur la façon dont l’action va aider à accomplir l’objectif opérationnel. En choisissant la tactique, demandez vous : Est-ce que ça va nous aider à avancer dans la campagne ? Avons-nous considéré toutes les parties pertinentes de la Taxonomie de l’Action ? Ces tactiques vont-elles développer nos capacités d’action ?
Qui sera impliqué ? Et comment les décisions seront prises ?
Qui va aider à planifier l’action ? Qui devrait être consulté ? Et qui va l’exécuter ? Les réponses dépendent de votre organisation, de son niveau d’ouverture, du niveau de risque, et des compétences et ressources nécessaires. La planification et la consultation peuvent être de belles opportunités de se connecter avec des allié·es et d’élargir le spectre de la résistance. Ceci dit il est bon de rester prudent au moment d’inviter des personnes pour planifier car inviter trop de monde ou les mauvaises personnes peut ralentir les choses et créer des conflits inutiles.
Quand vous savez qui est impliqué, organisez-vous si nécessaire en sous-groupes ou rôles pour la logistique, la planification, l’entraînement, etc. Si vous invitez un grand nombre de participant·es, vous devez clarifier comment sont prises les décisions et les règles de base pour l’opération. Dans l’idéal ceci doit être réalisé au maximum avant que d’autres personnes arrivent, pour éviter les conflits et avancer correctement.
À quels différents scenarios devons-nous nous attendre ?
Vous avez besoin d’un plan détaillé, et d’anticiper au maximum différents scénarios et plans d’urgence. Comment se déroulera l’action étape après étape sur le terrain ? Où seront placées les différentes personnes ? Combien de personnes assignées à chaque tâche ? Y a-t-il une structure de commande particulière sur le terrain ? Comment les personnes communiqueront-elles ? Qui est responsable de donner le signal de feu vert ou d’abandon ? Combien de temps durent chaque élément de l’action ? Faites au plus simple.
Quel est notre plan d’évacuation ?
Il peut s’agir d’une simple dispersion rapide en petits groupes, ou il peut impliquer des couvertures, des véhicules, des changements de vêtements, d’équipement, l’utilisation de cachettes. En général, ayez une idée de quand et comment l’action va finir, par exemple en faisant en sorte que l’action ne traîne pas inutilement sans conclusion, ou que les personnes se dispersent pour ne pas se faire arrêter.
De quelles compétences et entraînements avons-nous besoin ?
Est-ce que toutes les personnes impliquées ont les compétences nécessaires ? Comment pouvons-nous utiliser cette action pour développer les compétences requises d’une culture de résistance ? Quel entraînement est nécessaire pour que cette action soit un succès ?
C’est souvent important de mettre en scène des répétitions de l’action en amont, de la façon la plus réaliste possible. Des problèmes importants peuvent être identifiés pour empêcher de les voir surgir au moment de la véritable action. Ces répétitions lient les membres d’une équipe et donnent une estimation du temps nécessaire. Essayez de simuler le stress pour le prendre en compte.
Quel sera la date et le moment de l’action ?
Il n’y a peut-être qu’une seule date pour mener l’action, ou au contraire plusieurs possibles. C’est bien d’avoir des dates de secours au cas où quelque chose de mauvais se produit avant le début de l’action. Quand la date est fixée, essayez de faire un rétro-planning détaillé du travail à accomplir pour être prêt·es dans les temps.
Quels sont les risques en terme de sécurité ?
Est-ce que l’action comporte des dangers ? Comment les réduire ou leur faire face ? Est-ce qu’il y a un risque de blessure qui nécessite un medic dans l’équipe ? De quelles mesures contre la répression avons-nous besoin ? Est-ce que les personnes auront besoin d’une aide juridique ou d’une aide en prison ? Est-ce que quelqu’un a la possibilité d’annuler l’action à la dernière minute si elle apparaît trop dangereuse ou que la situation change de façon imprévue ?
Quelle couverture médiatique voulons-nous ?
Est-ce que nous voulons faire la promotion de l’action en avance ou bien c’est une surprise ? Voulons-nous une couverture médiatique ? Sous quel angle et par quel médium ?
Y a-t-il des potentiels effets secondaire ou représailles ?
Comment l’action peut affecter les spectateur·trices ? Est-ce qu’elle peut faire s’abattre la police ou la justice sur nos allié·es ? Devons-nous ajuster l’action, avertir les allié·es ou autre pour minimiser les effets secondaires ?
De quel équipement avons-nous besoin ?
Assurez-vous que tout l’équipement adéquate est prêt à l’emploi. Assurez-vous que tout le monde sait comment utiliser l’équipement nécessaire à l’opération. Préparez des éléments de rechange pour les outils critiques. Les groupes clandestins peuvent avoir besoin d’un équipement anonymisé et d’un plan pour s’en débarrasser.
Avons-nous une checklist pour le jour de l’action ?
Une checklist pour les heures précédents l’action est très précieuse. Elle résume qui est responsable de quoi, l’équipement nécessaire, les horaires et autres informations clés. Les dernières tâches peuvent inclure quelques mots de motivation ou d’encouragement mutuels avant l’action.
Après l’action : debrief et analyse.
Assurez-vous que toutes les personnes impliquées vont bien physiquement et psychologiquement. Assurez-vous que tout s’est passé comme prévu, ou comprenez ce qui s’est mal passé. Identifiez ce qui fonctionne et ce qui peut être amélioré. Réfléchissez à l’action juste après l’avoir exécutée, puis plus tard avec plus de recul. Est-ce que l’action a atteint son objectif ? Est-ce qu’il y a eu répression ou d’autres perturbations ? Comment les organisateur·trices y ont fait face ? Intégrez les leçons aux futures planifications, tactiques et organisation.
Pour gagner, nous devons construire des mouvements et des organisations qui nous rendent fort·es, qui nous permettent de dépasser les demi-mesures éparpillées et nous engager dans une réelle action collective. Convertir les actions isolées en une sérieuse stratégie de résistance est une des tâches les plus importantes — et les plus difficiles — de tout mouvement. Évidemment, juste avoir l’idée d’une stratégie n’est pas suffisant pour la mettre en place. Les stratégies qui réussissent requièrent toutes les capacités dont nous avons discuté dans cet ouvrage (des organisations fortes de différentes échelles, la capacité de recruter, de se protéger, et la logistique pour soutenir la lutte). Assembler tous les éléments nécessaires pour mettre en place une stratégie victorieuse est peut-être le plus grand défi de n’importe quel mouvement de résistance. C’est le sujet que nous allons aborder dans le dernier chapitre.
Chapitre 12. Campagnes & Stratégie
« Un bon plan aujourd’hui vaut mieux qu’un plan parfait demain » – George Patton
« La stratégie sans tactique est le chemin le plus lent vers la victoire. Les tactiques sans stratégie est le bruit avant la défaite » — Sun Tzu
Les mouvements de résistance ont des objectifs, leur stratégie est la manière dont ils atteignent ces objectifs. La stratégie est la façon dont sont assemblées des séries d’actions pour développer la capacité d’exercer un changement. Les résistant·es stratèges utilisent avec intelligence leurs ressources limitées pour atteindre leur but. Ils et elles ajustent en permanence leur approche en fonction des circonstances et de l’opposition. Certains mouvements de résistance ont des objectifs ambitieux qui prennent une génération ou plus pour être accomplis (la fin de l’apartheid, de l’esclavage, la journée de 8h de travail, etc).
Les organisateur·trices se rapprochent peu à peu de leur objectif par une série de courtes campagnes avec des objectifs plus petits. Ces campagnes aident à faire grandir le mouvement, elles développent la confiance des membres et les capacités d’escalader vers des objectifs de plus en plus grands. Diviser les stratégies à long terme en campagnes plus courtes permet aussi de trouver des allié·es le temps d’une campagne, d’évaluer les succès et les échecs et d’améliorer les connaissances stratégiques.
Dans Full Spectrum Resistance, McBay étudie certains conflits passés au regard de la stratégie et tactique développées. Il se penche par exemple sur la Rébellion du Nord-Ouest au Canada, sur la campagne contre les laboratoires d’expérimentation animales d’Huntingdon, le Front de Libération des Animaux, la lutte écologiste contre la décharge du Site 41 au Canada, les mouvements de Tempérance aux États-Unis, les Rébellions chinoises du 19e siècle, ou encore la lutte syndicale des United Farm Workers en Californie. Tous ces exemples apportent des éléments intéressants à ce qui peut constituer une culture de résistance, mais je n’ai pas le temps d’en parler dans ce podcast, je vous conseille donc vraiment la lecture du livre complet.
Ce chapitre va parler de la stratégie pour des campagnes de plusieurs mois ou années. Il n’y a malheureusement pas de plan tout tracé, universel, qui revient pour chaque mouvement. Tout dépend du contexte. Ceci dit il y a des schémas qui reviennent, de succès et d’échec. Peu importe la stratégie que vous utilisez en particulier, les mouvements efficaces ont quelques éléments en commun. Ils ont besoin de procédures de conception et d’évaluation de la stratégie. Ils ont aussi besoin d’organisations qui permettent de développer leur stratégie, de faire des alliances, et une trajectoire de stratégie d’escalade.
Anatomie d’une campagne
Les mouvements efficaces mettent en scène tous les éléments abordés dans les chapitres précédents. De nombreux éléments ont leur propre cycle qui se répète : le cycle du renseignement, le cycle de la logistique, le cycle tactique de la planification, exécution et évaluation d’une action. Ces cycles mis tous ensemble, s’enroulent un peu comme une spirale avec le temps, un peu comme une solide corde :
Au cœur de la corde il y a l’action, car l’action est ce qui distingue un groupe résistant d’un ensemble de dissident·es. Autour de ce cœur s’enroulent toutes les capacités qui protègent, renforcent et soutiennent une campagne. L’action directe est une partie essentielle de la résistance , mais les actions directes seules accomplissent rarement quoi que ce soit sans l’appui des personnes qui s’occupent des communications, renseignements, recrutements et tout le reste. Ces capacités sont des multiplicateurs de force, ils contribuent de fait directement à l’action. La stratégie globale et l’organisation d’une campagne déterminent la façon dont ces différents éléments indispensables s’enroulent ensemble.
McBay utilise une autre image, celle du tonneau, pour décrire la loi du minimum :
Chaque douelle qui forme la paroi du tonneau représente une capacité de résistance (Recrutement, Communications, Logistique, etc). Si une capacité est réduite, la capacité totale est d’autant réduite. Vous pouvez avoir les évènements les mieux organisés du monde, vous n’allez rien accomplir si vous n’avez pas la communication nécessaire pour entrer en contact avec les personnes qui vont y assister. Ou encore si vous avez les activistes les plus militant·es et engagé·es qu’on puisse imaginer, mais pas les sécurité et les renseignements nécessaires pour les protéger… Bien sûr chaque campagne et stratégie requiert ces capacités en différentes quantités, mais dans tous les cas une faiblesse majeure sera exploitée par ceux au pouvoir.
Trajectoires stratégiques
En son cœur, chaque stratégie contient une trajectoire, une chemin qui nous emmène de notre situation actuelle jusqu’à l’objectif que nous voulons atteindre. Chaque mouvement qui réussit suit une telle trajectoire, que ce soit planifié ou pas. D’ailleurs la trajectoire empruntée est rarement celle qui a été planifiée. La stratégie est un procédé itératif : on essaye, on regarde ce qui fonctionne ou pas, et on s’adapte. Le problème est que le camp d’en face apprend lui aussi, et il a souvent une meilleure expertise que nous de la répression des mouvements de résistance. Les mouvements jeunes font forcément des erreurs au début et mettent du temps à apprendre.
Pour l’expert en contre-insurrection britannique Franz Kitson, les mouvements passent par trois phases :
- La phase préparatoire
- La phase non-violente
- La phase violente/insurrectionnelle
Les dirigeants surveillent et infiltrent les mouvements pendant la phase préparatoire, pendant que le mouvement prend conscience de lui-même, car c’est là qu’il est le plus vulnérable pour la collecte de renseignements. Dans la seconde phase, les mouvements épuisent les méthodes conventionnelles de manifestation et ont la possibilité d’impliquer un grand nombre de personnes. Quand ces méthodes échouent, les résistant·es se sentent « légitimes » à escalader vers des actions plus sérieuses, et dans l’idéal le soutien et l’organisation nécessaires à l’escalade sont disponibles.
Les 3 phases de Kitson ne sont pas universelles, elles ne s’appliquent pas dans toutes les situations, mais l’élément clé à retenir est l’idée d’escalade. L’escalade est rarement linéaire ou continue, mais nécessaire.
Pour le leader communiste Mao Zedong ; la lutte révolutionnaire passe par 3 phases :
- La phase défensive de survie et d’organisation : les révolutionnaires forment des groupes, recrutent et entraînent de nouveaux cadres, font de la propagande et se préparent à escalader
- La phase d’équilibre stratégique et de guérilla : les révolutionnaires pratiquent le sabotage et harcèlent les armées d’occupation, tout en sécurisant leurs propres organisations et en construisant des institutions parallèles.
- La phase d’offensive stratégique : les révolutionnaires passent aux formations militaires conventionnelles pour défaire de façon décisive les forces ennemies affaiblies.
Le succès historique de cette approche réside dans sa flexibilité, si les révolutionnaires font face à la répression ou à des pertes, ils et elles peuvent toujours revenir à la phase précédentes en maintenant leur réseau de survie. Un concept intéressant dans ce modèle est l’importance de l’empilement des capacités, plutôt que de juste changer de stratégie. Les activités principales ou visibles des groupes peuvent évoluer, mais la construction des capacités organisationnelles de base ne disparaît jamais.
Les militant·es radicaux s’intéressent rarement à ces trajectoires, et veulent la transformation politique totale et instantanée. Ça nous arrive souvent de réfléchir ainsi, un peu en attendant le grand soir, mais dans la réalité historique, les mouvements qui réussissent suivent des trajectoires d’escalade qui prennent du temps. Les théories révolutionnaires qui priorisent le conflit armée aux dépens de la construction de soutien et des capacités ont un pauvre bilan historique. Construire une solide culture de résistance est presque toujours plus important que la force armée. On apprend de chaque campagne et on grandit ainsi. Parfois cet apprentissage et l’escalade stratégique s’étend sur des mois ou des années, et dans certains cas sur des décennies ou des siècles. Et même s’ils échouent à atteindre leur objectif, les efforts de résistance ne sont jamais vains, les vétérans d’une lutte peuvent garder vivante une culture de résistance jusqu’à ce que les « conditions matérielles » soient plus favorables, ou que de meilleures stratégies soient imaginées.
Pour l’anarchiste Michael Albert, n’importe quel mouvement qui a escaladé et semble avoir atteint un plateau, peu importe la hauteur du plateau, n’a plus de trajectoire pour aller en avant et devient alors gouvernable. On peut imaginer une trajectoire stratégique en terme de nœuds de pouvoir. Chaque champ de bataille a des nœuds où le pouvoir est concentré. S’ils sont capturés ou influencés, le mouvement est renforcé et l’ennemi est affaibli. Ces nœuds peuvent être sociaux et politiques, que ce soit des groupes de voisinages, des partis, des syndicats. Pour le stratège Marshall Ganz, la stratégie c’est comment on change ce qu’on a en ce qu’on veut, c’est transformer ses ressources en possibilité d’atteindre l’objectif.
Une des plus grandes faiblesses des groupes radicaux est qu’ils sont souvent peu disposés à faire ce travail d’influence et de dialogue. Dans une culture de défaite, les radicaux sont souvent répugnés à l’idée d’interagir avec des gens différents. Parfois par mépris de classe, ou mépris intellectuel. Mais les mouvements victorieux n’ont pas ce luxe s’ils veulent de réels changements révolutionnaires. Les gens ont probablement des défauts qu’il faut accepter plutôt que d’essayer de les corriger et d’avoir de parfaits petits spécimens avant de commencer à interagir avec eux. Ce qui nous emmène à la questions des alliances.
Alliances et coalitions
Nous avons vu que certaines parties d’un mouvement peuvent être complémentaires même si elles ne travaillent pas formellement ensemble. Mais parfois des alliances et coalitions plus claires peuvent être faites. Les coalitions, même temporaires, ont de nombreux bénéfices. Elles renforcent les mouvements en liant les différents groupes et leurs membres. Elles permettent aux groupes de partager des informations et des ressources, et elles peuvent en partie aider à radicaliser les participant·es.
Les coalitions aident les mouvements à éviter la répression du « diviser pour mieux régner ». Les coalitions peuvent être « faibles », plutôt informelle, ce qui est parfois une chance de leur succès car cela évite les bagarres sur les identités, idéologies et objectifs. Qu’est-ce qui rend une coalition utile et victorieuse ? Voici quelques facteurs.
Idéologie et objectifs en commun
Pour réussir, les coalitions doivent partager un objectif, et les membres doivent avoir suffisamment d’idées en commun pour se sentir appartenir au même camp. Les groupes doivent donc identifier un problème commun pour lutter ensemble. Une culture en commun aide à faire coalition, mais cette culture est parfois développée justement grâce à la coopération et l’action commune. Dans tous les cas, la diversité renforcent les coalitions et elles doivent avoir des méthodes de prises de décisions efficaces et de résolution de conflit pour permettre aux différents point de vue de créer un plan d’action partagé.
Liens sociaux préexistants
Comme pour les groupes, les personnes rejoindront plus facilement une alliance si des relations sociales préexistent. Les coalitions fonctionneront mieux si les personnes se connaissent au préalable et ont déjà appris à se faire confiance. Certaines personnes peuvent aussi jouer le rôle de créateur de passerelles, en étant familière avec deux groupes différents. Elles jouent un rôle critique pour aider les différentes organisations à surmonter les divisions de classe qui peuvent rendre la coopération difficile.
Crises et objectifs tangibles
Une urgence — et idéalement un ennemi commun — est très importante pour former des alliances et coalitions. Les crises externes peuvent agir comme des catalyseurs, rendant l’activisme coopératif à la fois plus nécessaire et plus faisable. Attention, les crises seules ne créent pas de coalitions, mais elles restent des terrains fertiles pour mobiliser les activistes, encore plus si l’organisation a commencé avant la crise.
Opportunité politique
Les coalitions peuvent aussi se former parce qu’elles ont déceler une opportunité commune, comme une faiblesse chez ceux au pouvoir. Dans certaines situations, comme des guerres ou l’instabilité économique, certains changements politiques peuvent devenir possible.
Ressources abondantes
Les coalitions sont plus susceptibles d’être victorieuses quand elles ont suffisamment de ressources, quand elles ne sont pas en compétition les unes contre les autres, notamment au sujet du financement.
Les coalitions ne sont pas toujours attirante, car des facteurs importants, ou la confiance, le respect ne sont pas présents. Mais parfois l’obstacle est une question d’identité, d’identité militante ou radicale. Quand l’identité prend le dessus sur la stratégie à long-terme. Quand certains groupes font déjà des hypothèses sur les meilleures façons de s’organiser avant même d’avoir décider de l’objectif à suivre, cela laisse peu de place à la coopération entre différentes formes d’organisation. Pourtant les coalitions peuvent permettre quelque chose de précieux pour un mouvement : d’augmenter sa capacité stratégique.
Capacité stratégique
On étudie trop souvent ce que les leaders d’un mouvement font, et comment la stratégie fonctionne, plutôt que d’expliquer pourquoi les leaders de certaines organisations imaginent des stratégies plus efficaces que les autres. Les récits populaires d’insurrection victorieuses attribuent les stratégies efficaces seulement à des leaders doués et oublient de mentionner les conditions dans lesquelles de bonnes stratégies émergent. Certains groupes sont intrinsèquement meilleurs pour créer de bonnes stratégies.
Marshall Ganz, qui a participé à l’organisation de United Farm Workers, a identifié un nombre de facteurs clés qui donnent au groupe une capacité stratégique.
Forte motivation
La motivation influence l’imagination du groupe car elle affecte la possibilité de se concentrer, d’avoir de l’énergie pendant des périodes prolongées, l’obstination, la détermination à prendre des risques. Les personnes motivées cherchent de nouvelles directions, apprennent de nouvelles compétences et informations, ne se contentent pas de la routine. Cette motivation augmente quand les personnes ont de l’autonomie et qu’elles reçoivent des retours positifs des autres.
Connaissances manifestes
Elles incluent les compétences et les informations. Il faut savoir comment planifier une action directe avant de pouvoir véritablement être flexible et créatif dans la façon d’utiliser l’action directe. Les connaissances manifestes comprennent de bons renseignements sur les régions, les opposants, et sur les tiers avec qui interagir. On en revient à la culture de résistance, la mémoire des tactiques qui ont fonctionné ou pas, nécessaire pour une approche innovante ici et maintenant.
Processus heuristique
C’est-à-dire l’utilisation des informations disponibles dans de nouvelles façons créatives.
Leadership diversifié
La caractéristique la plus importante de bonnes équipes de leadership, de direction, c’est la diversité. Des équipes composées de personnes aux points de vue hétérogènes sont plus à même de prendre de bonnes décisions que des équipes homogènes. C’est particulièrement valable pour résoudre de nouveaux problèmes car elles peuvent avoir accès à plus de ressources, une plus grande variété de compétences et de visions. Les équipes avec une bonne capacité stratégique sont en général formées de personnes qui viennent de milieux différents avec des expériences différentes.
Bonne organisation
Pour Ganz il est important d’avoir un bon processus de délibération qui inclue des réunions régulières et des sessions de stratégies ouvertes à une diversité de points de vue. Être sûr·es que chacun·e a un chance de parler est la clé. Les réflexions collective et les délibérations suscitent la créativité, encouragent l’innovation. Quand le groupe choisit une approche autoritaire, et que les personnes ont peur de s’exprimer, les points de vue différents ne peuvent pas être intégrés dans la stratégie.
Nous nous battons pour gagner mais on apprend souvent plus de ses échecs que de ses succès. Même une perte peut être un bon enseignement pour un groupe qui veut réellement développer sa capacité stratégique. Nous pouvons gagner à condition d’avoir la stratégie pour employer nos ressources limitées efficacement. Un facteur fondamental qui détermine la réussite d’un mouvement est sa capacité à apprendre et s’adapter plus vite que ceux qui sont au pouvoir.
Eisenhower disait : pendant la guerre, les plans sont inutiles, mais la planification est essentielle. C’est ce qui nous permet d’explorer les imprévus futurs et de s’y préparer. Tout bon stratège réfléchit plusieurs coups à l’avance. L’agilité est ce qui permet de s’adapter mieux que l’adversaire aux changement rapides, une capacité supérieure à accepter le chaos. Avoir un objectif à long terme est important mais être malin·e, rapide et tenace est plus utile qu’un plan rigide.
Planifier des stratégies
Dans le livre Self-Liberation, Gene Sharp et Jamila Raqib nous avertissent : on ne peut pas obtenir des connaissances stratégiques avancées, ou développer des analyses stratégiques, uniquement grâce à quelques conférences ou ateliers, car elles sont trop complexes. Trois types de connaissances sont nécessaires :
- Les renseignements stratégiques sur la situation du conflit
- Une connaissance approfondie des tactiques, des compétences
- La capacité d’analyser, de penser et planifier de façon stratégique
Faire une équipe avec des personnes qui ont tel ou tel type de savoir est insuffisant, il faut aussi pouvoir synthétiser ces trois types de connaissances pour faire émerger une grande stratégie intelligente. C’est pourquoi les personnes qui ébauchent des stratégies doivent être considérées avec attention, elles doivent avoir prouvé leur capacité à penser et planifier de manière stratégique. Des personnes inconnues qui n’ont pas de connaissances essentielles sur le pays ou la société, qui sont pauvrement informées, dogmatiques ou égotiques, peuvent produire des désastres dans la planification d’une lutte.
N’importe quelle stratégie de campagne tournée vers la réalisation son objectif doit répondre à ces 4 questions :
- Objectifs. Quels sont nos objectifs principaux ?
- Stratégies. Quelles stratégies, quelles campagnes ou opérations intermédiaires sont nécessaires pour atteindre ces objectifs ?
- Tactiques. Quelles tactiques pouvons-nous employer pour avancer dans ces stratégies ?
- Capacités. Quelles capacités et alliances devons-nous cultiver pour réussir ?
Outils pratiques pour la stratégie
Par quoi commencer pour imaginer une stratégie ? Il faut d’abord se rappeler que la stratégie est un processus itératif. N’attendez pas d’avoir la stratégie parfaite avant de commencer. Vous essayez avec les ressources et les personnes dont vous disposez, vous voyez si ça fonctionne, vous réévaluez, et vous réessayez. Il vaut mieux identifier les objectifs intermédiaires qui permettent d’avancer la stratégie dans le court et moyen terme, tout en renforçant le mouvement et les capacités qui seront utiles à long terme.
Méfiez-vous des idéologies et des écoles de pensée politique qui donnent des plans stratégiques orthodoxe clé en mains. Il n’y a pas de formule universelle et parfaite pour la réussite, une stratégie efficace passera toujours par une adaptation et une résolution de problèmes. Le mieux est certainement de disposer d’outils à utiliser de façon créative dans votre propre situation particulière. Cette approche non dogmatique constitue un peu le fil rouge de l’ouvrage Full Spectrum Resistance. Pour terminer ce chapitre, voici quelques outils pratiques pour imaginer et améliorer la stratégie.
Avancez avec ce que vous avez
Que pouvez-vous accomplir avec les personnes et les ressources que vous avez déjà? Quelle étape concrète pouvez-vous atteindre maintenant ?
Imaginez le résultat
Clarifier votre objectif peut beaucoup vous aider. Les indécisions et les conflits apparaissent souvent quand il n’y a pas d’image assez claire de l’objectif à atteindre. En remontant en arrière à partir du résultat, quelles étapes intermédiaires pouvez-vous développer ?
Maximisez votre capacité stratégique
Nous avons vu plus tôt différents moyens d’augmenter cette capacité. Développez ces capacités au sein de votre groupe. Préservez des moments réguliers pour parler spécifiquement de stratégie entre camarades. Permettez à des personnes très motivées aux opinions différentes d’atteindre un objectif commun.
Utilisez et développez votre capacité de renseignements
Les discussions stratégiques sont plus pointues avec de bons renseignements. Des informations bien conditionnées (listes de cibles, avertissement, analyses du spectre politique etc) améliorent votre développement stratégique.
Analysez les points forts et points faibles
Posez-vous les questions suivantes : Quelles sont les forces et les faiblesses du groupe ? Quelles sont nos opportunités ? À quelles menaces devons-nous faire face ?
Brainstorm de tactiques et opérations
Faites une liste des différentes campagnes et actions que vous pourriez mener. Puis commencez à les évaluer. Quelles tactiques pourraient être accomplies ? Lesquelles requièrent plus d’entraînement, de personnes et de ressources que vous avez actuellement ? Lesquelles sont excitantes et essentielles et pourraient former le cœur d’une campagne ? Lesquelles devraient être laissées de côté pour le moment ? Vous pouvez écrire vos idées favorites sur des petites cartes, et puis les réorganiser pour construire une campagne vraisemblable qui escalade.
Apprenez votre histoire et les évènements actuels
Pas besoin de connaître tous les aspects d’une lutte historique pour réfléchir à la stratégie. Mais vous devez vous intéresser au passé pour comprendre et innover.
Créez et jouez des scénarios
Divisez un groupe en deux camps. Le premier va simuler la résistance qui essaye d’implémenter sa stratégie, et l’autre camp va tout faire pour l’empêcher et l’arrêter. Essayez plusieurs scénarios avec plusieurs imprévus. Que se passe-t-il dans ce cas ou dans cet autre cas ?
Questions pratiques
Les stratégies et visions de haut niveau sont merveilleuses mais le succès d’un mouvement en revient souvent aux basiques questions de capacité. Qui sont vos allié·es et comment vous vous organisez? Vos réseaux de communication?Avez-vous les capacité de support de votre campagne ? Pouvez-vous faire une liste de vos besoins pratiques et un calendrier sommaire pour votre campagne ?
Considérez l’inquantifiable
Ce livre insiste terriblement sur les éléments concrets de la stratégie. Mais dans un mouvement de résistance, tout ne peut pas rentrer dans des listes ou inscrit sur des cartes. Certains mouvements ont aussi trouvé la victoire grâce au courage spirituel, au zèle révolutionnaire, ou la capacité d’inspirer des efforts et des engagements extraordinaires.
Épilogue
Voilà la fin du 4e et dernier article/podcast consacrés à Full Spectrum Resistance d’Aric Mc Bay. Cet ouvrage essaye de répondre à une question : Qu’est-ce qui rend les mouvements de résistance efficaces ? Il présente des leçons précieuses des mouvements du passé et du présent. Pour le podcast c’est encore plus valable que pour le livre, nous avons seulement gratté la surface. L’histoire de la résistance est vaste, profonde, et incroyablement riche. Heureusement il y a d’autres livres, et d’autres auteur·trices.
Comme l’a dit Peter Dundas « Nous n’aurons jamais une révolution quand tout le monde aura lu les bons livres ». Les livres nous apprennent beaucoup de choses, mais l’action encore plus. C’est une période décisive, le capitalisme, la civilisation industrielle accélèrent chaque jour la catastrophe écologique et mondiale. Le besoin d’une résistance courageuse ne fait que grandir face à des situations de plus en plus extrêmes. Ce système mortifère ne fait pas que détruire sa propre base sociale, il dévore sa base physique, la planète. La Révolution n’est pas un choix entre le capitalisme ou le socialisme. C’est un choix entre le renversement violent de l’ordre existant ou bien notre extermination par cet ordre existant, par cette machine. Un point est clair : soit nous nous battons, soit nous mourrons.
Apprendre à nous battre est la tâche qui nous attend. Parce que les changements révolutionnaires proviennent de la conscience des gens et de leur pratique. Les gens doivent apprendre à se défendre, à se battre, avant d’apprendre à gagner. Nous devons construire des mouvements qui commencent par des petites victoires pour dépasser l’inertie collective et la culture de défaite.
Pour récapituler : Nous savons que les mouvements militants fonctionnent, et que l’aile militante rend les grands mouvements modérés plus efficaces, grâce notamment à la fenêtre d’Overton. Nous savons aussi que des groupes de résistance de types très différentes peuvent former des mouvements complémentaires. Que les approches modérées et militantes peuvent se renforcer l’une l’autre pour créer des changements impossibles autrement, qu’elles peuvent combiner sensibilisation et action directe. La diversité rend les mouvements forts.
Nous savons cela, mais Aric Mc Bay termine son ouvrage avec un discours très fort de Martin Luther King prononcé quelques mois avant son assassinat :
« En fin de compte vous devez faire le bien, car c’est bien de faire le bien… Vous devez le faire parce que ça vous a empoigné si fort que vous êtes prêt·e à mourir si nécessaire. Et je vous dis ce matin, que si vous n’avez jamais trouvé une chose assez chère et assez précieuse à vos yeux au point de mourir pour elle, et bien vous n’êtes pas capable de vivre.
Vous avez peut-être 38 ans comme c’était mon cas, et un jour une grande opportunité se présente à vous et vous invite à vous battre pour un grand principe, pour un grand problème, pour une grande cause — et vous refusez de le faire parce que vous avez peur ; vous refusez de le faire parce que vous voulez vivre plus longtemps ; vous avez peur de perdre votre emploi, ou vous avez peur d’être critiqué·e, ou que vous perdrez votre popularité ou vous avez peur que quelqu’un vous poignarde ou vous tire dessus ou attaque votre maison, et donc vous refuser de prendre position.
Eh bien vous pouvez continuer et vivre jusqu’à 90 ans, mais vous êtes autant mort·e à 38 ans que vous auriez été à 90 ! Et le moment de votre vie où vous arrêtez de respirer n’est rien d’autre que l’annonce en retard de la mort votre esprit. Vous êtes mort·e quand vous aviez refusez de vous battre pour le bien, vous êtes mort·e quand vous aviez refusé de vous battre pour la vérité, vous êtes mort·es quand vous aviez refusé de vous battre pour la justice. »
Au-delà des podcasts et articles floraisons, je conseille vivement la lecture de cet ouvrage en entier, et d’ailleurs je vous avais parlé d’une future traduction en français, eh bien c’est plus que jamais d’actualité puisqu’avec floraisons et les Éditions libre, nous lançons une campagne de financement participatif pour rendre possible la traduction et l’édition des deux livres. Retrouver la campagne Ulule ici. Parlez-en autour de vous, pré-commandez les livres si vous êtes intéressé·es, pour aider à produire et diffuser ce merveilleux manuel de résistance.
S’il y a aujourd’hui un dernier espoir de permettre un futur qui vaut la peine de vivre, alors nous devons dédier nos vies à cette lutte. Nous devons nous consacrer à cette tâche immense d’un million de façons différentes. C’est quelque chose que je suis prêt à faire. J’espère que toi aussi chère lectrice, cher auditeur, tu feras ce choix. Peut-être que tu l’as déjà fait. Peut-être serons-nous camarades. Peut-être que je te verrai sur le front. Peu importe ta lutte, battons-nous ensemble pour un futur qui en vaut la peine.
Merci à toutes et à tous pour votre écoute. Ni dieu, ni maitre, ni mari. Vive la Liberté et vive l’Anarchie.
Pour pré-commander et rendre possible la traduction des livres en français :
Andreb
Posted at 20:31h, 01 janvierMerci pour cet excellent travail qui nous redonne du courage !
Norf974
Posted at 16:09h, 05 aoûtCe livre et vos podcasts sont pour moi essentiel et vital à toute lutte. Quasiment toutes personnes qui se bat devraient s’il en as la possibilité, prendre le temps de lire et écouter ce-ci pour essayer d’éviter au mieux de répéter encore et encore et de façon infinie quelque soit le lieu et le temps toujours les mêmes erreurs, le même schéma/scénario.
Pingback:Podcast - 4. Logistique, tactiques, stratégies - On arrête tout Toulouse
Posted at 10:26h, 21 mars[…] Open content directly […]
Pingback:Construire nos luttes – Actions & Stratégies #4 – BasculeS
Posted at 10:01h, 23 décembre[…] PODCAST sur FLORAISONS […]