À quand un média RadFem en France ? 10 Sep 2022
conquérons notre autonomie médiatique !
Féministes radicales,
Une récente campagne de communication du Planning familial montrant un “homme enceint” a généré beaucoup de réactions sur les réseaux sociaux. Le 22 août 2022, les féministes Marguerite Stern (initiatrice des collages contre les féminicides, ex-FEMEN) et Dora Moutot (autrice féministe, créatrice du compte sexo @TasJoui) ont publié sur le site Marianne une tribune intitulée « Mme Élisabeth Borne, féministes, nous nous inquiétons de ce que devient le Planning familial ». Cet article est adapté d’une story Instagram publiée sur ma page @gwladyskantfail le 6 septembre 2022, et fait suite à cette polémique et à l’affrontement provoqué entre les féministes radicales et les queers.
En premier lieu, je tiens à dire que l’affirmation qu’un homme peut être enceint faite par le Planning familial sur ses nouvelles affiches est non seulement absurde mais aussi de la propagande idéologique. Avec cette campagne, le Planning Familial confirme son adhésion à l’idée qu’être une femme est un ressenti, une idée sexiste.
Mais j’ai été très mal à l’aise avec la publication de la tribune publiée sur le site Marianne par Marguerite Stern et Dora Moutot, et donnant suite à des interviews dans Le Point le 24 aout et Sud Radio le 30 août, des médias respectivement de droite et d’extrême-droite. Ces publications ont par ailleurs eu lieu juste après que les critiques du Planning familial aient été accusées par les médias de gauche et militants queers, et par le Planning familial lui-même dans un communiqué le 19 août, d’être uniquement issues de l’extrême droite.
Je ne suis pas d’accord avec cette collaboration, qui perdure : ce n’est pas la première fois que des féministes radicales publient leurs tribunes ou sont reçues à Sud Radio en interview. Cette collaboration durable donc, laisse croire que les féministes radicales dans leur ensemble sont effectivement liées à la droite et l’extrême droite.
Je sais par ailleurs que Dora Moutot et Marguerite Stern ne sont pas d’extrême-droite. Je connais bien leur travail et leur ancrage dans les courants politiques et philosophiques de la gauche. Marguerite Stern a notamment participé à des actions avec FEMEN contre les catholiques intégristes de Civitas de la Manif pour Tous et contre Marine Le Pen. Mais la majorité des personnes qui vont lire ou écouter leurs propos sur ces médias de droite et d’extrême-droite ne le savent pas. Or l’une des premières choses qu’on apprend pour déterminer la fiabilité d’un discours et l’analyser, c’est de regarder qui l’émet : quel média le diffuse, quelle idéologie porte ce média, quels intérêts ce média représente.
Groupe d’activistes FEMEN (au centre Marguerite Stern) pendant la Manif pour tous, 2012. Photographe inconnu
La collaboration répétée des féministes radicales avec des médias qui défendent des points de vue qui vont de conservateurs à xénophobes-sexistes, crée une continuité effective pour le grand public entre ces deux courants pourtant complètement antagonistes sur les valeurs qu’ils défendent. Il sera très difficile pour une personne qui n’a pas les codes du féminisme et de ses débats politiques de discerner que les féministes radicales ne partagent pas les points de vue réactionnaires des médias dans lesquels les prises de position des figures de proue du mouvement sont régulièrement publiées.
Par ailleurs, je comprends la logique de Dora Moutot et Marguerite Stern : les médias dits “de gauche” refusent systématiquement de les publier, soit parce qu’ils partagent l’idéologie queer, soit parce qu’ils craignent des représailles de la part de leur lectorat (la peur d’être “cancelled ”, c’est-à-dire boycottés, par leurs audiences identifiées comme “progressistes”, jeunes et très présentes sur les réseaux sociaux). Dora et Marguerite estiment que le sujet est trop important pour ne pas être visible médiatiquement, même si ça implique de passer par des médias dont elles ne partagent pas la ligne éditoriale.
Je ne partage pas ce point de vue, même si je le comprends. Mais dans tout ça, ce qui m’a déçue et un peu inquiétée, c’est le monolithisme des points de vue dans la sphère féministe radicale. Comme s’il fallait soutenir “inconditionnellement” (terme qui revient souvent sur les réseaux sociaux) Dora et Marguerite sans quoi on ne ferait pas preuve de suffisamment de radicalité.
Mais personnellement, précisément, je ne soutiens personne “inconditionnellement”, y compris Marguerite et Dora. J’admire leur travail et je leur apporte mon soutien face au cyberharcèlement franchement horrible qu’elles subissent toutes les deux. Mais je ne suis pas en accord avec la totalité de leurs prises de parole et encore moins sur la manière dont elles les diffusent. Cette polémique a vraiment souligné pour moi la manière dont les réseaux sociaux lissent tous les discours en Pour ou Contre, même parmi les sphères où l’esprit critique est revendiqué comme base du positionnement féministe. La nuance et les voix discordantes ne sont apparues nulle part sur les réseaux sociaux (par exemple en stories Instagram) de la sphère féministe radicale que j’ai consultée. J’ai trouvé ça vraiment inquiétant.
L’admiration provoquée par Dora et Marguerite est compréhensible, mais semble parfois tourner à l’idolâtrie. Je pense qu’il faut faire attention à ne pas mettre des personnes sur un piédestal au risque de les suivre même quand on n’est plus entièrement d’accord avec elles et la trajectoire qu’elles choisissent pour mener leur combat. Et ça, c’est quand même une grande défaite de l’esprit critique.
Dans le féminisme, les femmes impliquées mettent une grande part d’intime dans leurs luttes et leurs réflexions. Cette intimité nous relie, mais sa puissance peut aussi être instrumentalisée, consciemment ou inconsciemment par les figures de proue du mouvement. Je l’ai observé à plusieurs reprises, avec parfois des conséquences douloureuses. La Sororité peut être instrumentalisée pour faire taire les critiques. Néanmoins, ces dernières n’ont pas pour objectif de diviser, mais d’identifier et d’analyser de manière constructive les tactiques et les comportements problématiques afin d’améliorer le travail effectué ensemble.
Faites attention. Le milieu féministe, y compris celui du féminisme radical n’est pas un milieu bienveillant. C’est un espace de luttes. Avec certaines femmes, il est possible de créer au sein de ces espaces des moments où l’on se sent réellement en sécurité, où il peut exister de réels échanges sorores épanouissants. Mais trouver les bonnes personnes avec qui le vivre demande du temps.
Pour revenir aux médias de droite qui publient des textes féministes radicaux : n’oubliez jamais que s’ils les publient, c’est avant tout parce que ça sert leurs intérêts, dont le premier n’est pas la liberté d’expression, mais bien l’avancement d’idéologies profondément réactionnaires qui ont en cœur de cible les femmes et leur autonomie.
Vous n’avez peut-être lu que la tribune de Dora Moutot et Marguerite Stern sur Marianne, ou écouté seulement leurs interviews sur Sud Radio. Mais les lecteurs et auditeurs qui lisent et s’informent principalement par ce genre de médias (et c’est la masse de ceux qui les liront ou écouteront) ne garderont que ce qui les arrange de ces discours. Ceux-ci viendront alimenter et justifier leur vision du monde. Ils ne contribueront pas à changer leurs perspectives sur les femmes et la place qu’on occupe dans la société.
Dans la deuxième partie de cette publication sur mon compte Instagram, j’ai partagé, avec leur accord, les réactions et réflexions des abonnées sur ce sujet. La première est @pussik_riot :
« Je suis entièrement d’accord sur les risques d’idolâtrie. Et plus largement de se dédouaner de nos responsabilités individuelles, notamment avec les cagnottes. Je paie, donc à toi de faire le taf et d’en payer le prix (harcèlement etc.)
Je suis d’accord que quand on admire une personne on a plus de mal à exercer son esprit critique. Et quand il y a un buzz, quel que soit le côté où on se place, on est plus dans la réaction que dans la réflexion. C’est ça qui transparaît de la polémique du Planning familial je pense.
Pour la critique pour les médias, je comprends aussi. Néanmoins je dois te poser la question : qu’est-ce que tu proposes comme alternative ? Ne pas diffuser de tribune ? Continuer à s’exprimer ici [sur Instagram] en étant censurée et en se pliant plus ou moins à la censure, avec donc portée limitée et/ou euphémisée ?
Continuer à s’exprimer sur des blogs et podcasts libres mais dont la portée est encore plus limitée ? Comment on fait pour exprimer nos craintes, nos réserves, nos revendications ET dénoncer nos agressions ? Est-ce qu’on est condamnées au silence en attendant que la gôche se réveille ?
A titre personnel, la gôche, c’est devenu une vaste plaisanterie à mes yeux. Ça ne fait pas de moi une partisane des idéologies de droite, loin s’en faut. Mais est-ce que si on critique la gauche, ça fait de nous des droitardes ?
La “gauche”, particulièrement sur ces questions, est ultra-libérale, homophobe, misogyne comme on le sait. Donc cette gauche et leurs médias, dans mon esprit, ce n’est justement pas la gauche : c’est des médias libéraux et identitaires. Donc de droite et conservateurs. Franchement, le jour où on passe chez Konbini ou Fraîches ou que sais-je encore, je ne suis pas sûre que c’est une bonne nouvelle. Moi je sais que la censure m’affecte énormément.
Donc quand un média comme Marianne (je suis la première à vouer une haine à Polony) nous donne une tribune, je me réjouis. Comme tous les médias, faut rester méfiantes, et se souvenir qu’ils ont des intérêts qui ne sont pas les nôtres. Oui ce serait formidable si on pouvait détenir notre propre media avec une grande portée. Mais comme tu le dis très bien, le féminisme est anticapitaliste donc qui va nous financer ? »
J’ai ensuite partagé ma réponse aux questions très légitimes que pose @pussik_riot et qui sont aussi les miennes :
« Et ma réponse est simple : Oui, quitte à rester encore “dans l’ombre”, je préfère défendre mes idées et les voir représentées sur des médias indépendants que dans des médias qui incarnent l’inverse opposé de tout ce en quoi je crois.
Je ne dis pas que c’est la bonne ou la vraie solution, mais c’est mon parti pris. Quand je vois les idées que je défends dans un média d’extrême-droite, de manière répétée en plus, franchement ça me tord le bide. D’autant que comme je l’écrivais plus tôt, je ne pense pas que ça ait l’impact voulu. Pour moi on ne fait que nourrir une idéologie nauséabonde plus large de la droite et de l’extrême-droite.
Concrètement, l’idée de “sonner l’alerte” quant à l’implémentation de l’idéologie de genre dans des espaces de soin dédiés aux femmes est louable. Mais la droite et l’extrême-droite s’appuient sur nos arguments aujourd’hui pour appeler à ce que le Planning familial ne reçoive plus d’aides publiques. Si ça arrivait, et vu ce qu’il se passe aux USA, ce n’est pas de la science-fiction, pourrions-nous dire que nous ne sommes absolument pas responsables parce qu’on n’avait pas l’intention que ce soit interprété ainsi ?
Pour moi, publier de manière répétée dans de tels médias, c’est accepter, légitimer l’interprétation et le cadre d’interprétation dans lequel ces discours vont être reçus et instrumentalisés. Au risque de paraître chauvine et grandiloquente, ça me fait penser à la devise bretonne : “Plutôt la mort que la souillure”. »
J’ai ensuite partagé la suite des réflexions de @pussik_riot :
« Pour faire un parallèle avec ta critique (que j’entends très bien), ça me rappelle les débuts de FEMEN. Les féministes disaient attention, voir nos seins c’est ce qu’ils veulent, c’est pour ça que les médias kiffent. On leur donne ce qu’ils veulent, on est dans la soumission de leur regard pornifiant.
Mais de fait, et j’en ai fait personnellement l’expérience, les médias diffusent les images de FEMEN. Donc leurs revendications ont été entendues. Certaines revendications, pendant des années les féministes françaises traditionnelles tentaient de les porter, dans l’indifférence absolue. Quand FEMEN les a brandies, il y a eu des débats. Je pense à la lutte contre les féminicides, parce que j’en ai fait l’expérience.
Je pense que finalement la question est de savoir dans quelle mesure la fin justifie les moyens. »
J’ai ensuite partagé les réflexions d’une autre abonnée, @sophienicosia :
« Merci pour cette réflexion. C’est aussi un truc qui m’a vraiment travaillée ces dernières semaines, et qui m’a valu d’être vue comme une collabo par mon frère, ma pote trans, des amies féministes adeptes des théories queer. C’est très dur de garder une droiture d’esprit quand tu sais que tes idées sont reprises avec engouement par des réacs, mais pas du tout pour les bonnes raisons.
La solution est de faire un média RadFem [féministe radical]. Il y a suffisamment de contributrices qui pourraient y publier du contenu. XY Média a bien réussi à voir le jour et à garder le cap depuis un an, du côté des transactivistes. Pourquoi ne saurions-nous pas en faire de même ?
Les blogs de chaque RadFem pourraient avoir leur visibilité, on mettrait en commun plutôt que de bosser chacune dans son coin (même si je sais que y’a des liens entre chacune des militantes que je suis). De cette façon on pourrait expliquer clairement nos positions. Le fait que Dora ait refusé l’interview avec une journaliste de gauche (même si l’approche était un peu biaisée) ne fait que fracturer encore plus nos liens avec la gauche.
Je pense que le Discord de Dora peut permettre ça. En tout cas, s’il faut organiser la création d’un média RadFem, je pense vraiment qu’il y a les compétences dans le milieu. Notre principal problème est de s’organiser ensemble, même si on n’est pas toutes d’accord sur tout. Il y a de plus en plus de monde qui s’inscrit sur le Discord de Dora, je pense vraiment que y’a moyen de mettre en place ce genre de projet. En attendant, même si la critique interne est nécessaire, et accepter ses erreurs aussi (je ne sais pas si Dora et Marguerite en sont à ce stade vu qu’elles sont en mode foncer dans le tas pour remuer la merde de la fourmilière), il faut essayer, tester, voir ce qui fonctionne ou pas. Le résultat médiatique de la tribune est certes mitigé car on se met à dos beaucoup de gens qui auraient pu nous écouter si la tribune avait été publiée sur Médiapart, mais en attendant on voit aussi, en interne, que ça a permis à des femmes de se retrouver, d’accepter des positions qu’elles n’osaient pas s’avouer car nos milieux de gauche sont complètement à la ramasse sur le sujet. »
J’ai réagi :
« Créer un média RadFem revient souvent en suggestion. C’est une bonne idée, mais ça demande des moyens financiers, une organisation et une mobilisation. Le lancement rapide et fulgurant de XY média m’a toujours paru suspect. On sait qu’il faut de la thune pour faire ça et comme leur idéologie est en vogue, les fonds abondent.
Proposer une pensée radicale comme nous le faisons, ce n’est pas populaire. Y’a pas de thunes. Ça ne veut pas dire que c’est impossible, mais ça demande un surcroît d’organisation et de mobilisation. À celles d’entre nous qui ont envie de s’emparer de ce projet d’y aller ! N’attendez pas que d’autres le fassent. »
J’ai aussi précisé ici que je contribuais au blog Floraisons pour les podcasts sur la théorie féministe, dont le premier est la fiche de lecture en 3 épisodes sur Masculin/Féminin de Françoise Héritier. Je travaille actuellement sur le prochain. À nouveau, j’ai partagé la suite des réflexions de @pussik_riot :
« En fait, je relis tes justifications (que j’entends, encore une fois) et je vois le risque inverse : si on reste dans nos tranchées anticapitalistes, on laisse la voie libre à l’extrême droite pour être la seule voix critique de ce qui se passe en l’occurrence au Planning familial mais dans le reste de la société et des espaces féministes. Et ça je crois que c’est une erreur. Parce que pour le scandale sanitaire à venir, là c’est plus des craintes ou un pari, c’est un fait : le scandale sanitaire va arriver et il va faire très mal. Il va faire très mal au Planning familial et dans les milieux de gauche et “féministes”. Et c’est l’extrême-droite qui sera considérée dans le juste, a fortiori si on lui donne le monopole de l’opposition dans l’espace médiatique. »
Ici j’ai également renvoyé vers les stories de Marguerite Stern sur le compte @margueritestern_backup qui réagissaient aux miennes. Je n’ai pas enregistré l’ensemble de ses stories de réaction, mais elle disait entre autres :
« Moi mon but c’est de changer le monde. Pas uniquement de discuter entre personnes déjà convaincues. L’entre-soi ne m’intéresse pas ».
J’écris ensuite :
« Ces deux réactions sont intéressantes parce qu’elles sont au cœur de ce qui moi, m’a mise mal à l’aise et ce qui nous divise en tant que RadFems : la stratégie, la méthode d’action. Je ne pense pas que la fin justifie les moyens, surtout quand ces moyens sont de s’allier avec des ennemis politiques qui nous instrumentalisent. Et ce n’est pas seulement une question de principe. Je pense que c’est aussi une question d’efficacité. Notre discours, précisément parce qu’il est marginal et peu entendu, est instrumentalisé et manipulé à des fins qui vont à l’encontre de nos convictions et de nos objectifs politiques.
Je crains qu’au nom de vouloir alerter sur l’hormonalisation et la mutilation des femmes, cette alliance avec les droitards participe à des actions, comme des audits, qui mènent à un définancement des rares lieux qui accueillent et soignent les femmes. Si la lutte contre l’idéologie de genre et ses méfaits monopolise l’engagement des féministes radicales, je pense qu’il y a un risque que la lutte globale pour l’émancipation des femmes et contre les violences masculines soient reléguées à l’arrière-plan. »
Je souhaite aussi adresser ici ce que je n’ai pas fait dans la story initiale parce que la réflexion m’est arrivée plus tard, cet argument de @pussik_riot : « le scandale sanitaire va arriver et il va faire très mal. Et il va faire très mal au PF [Planning familial] et dans les milieux de gauche et “féministes” » : Au Royaume-Uni, la clinique Tavistock vient d’être fermée suite aux nombreuses critiques et les plaintes d’anciennes patientes qui considèrent que leur transition a été bâclée, mal gérée gérée par la clinique, comme c’est le cas de la détransitionneuse Keira Bell.
Si cette fermeture et le procès gagné par Keira Bell permettent de remettre en question la manière dont la transition est abordée par la société et par le milieu médical et psychiatrique, ça ne fait pas pour autant bouger la réflexion au sein de la gauche et des milieux queers, qui ne pâtissent pas de la disgrâce de la clinique. Pour eux, cette clinique était de toute façon décriée même par la communauté trans, et sa fermeture va permettre l’ouverture de multiples centres régionaux spécialisés dans les transitions de genre. C’est d’ailleurs un argument qu’avance Olivia Ciappa dans sa contre-tribune également publiée sur Marianne en réponse à celle de Marguerite et Dora.
Bref, ils rejettent entièrement la faute sur le milieu médical. L’idéologie de genre qui mène à ces transitions et à ces médicalisations n’est absolument pas remise en cause. Presque, elle en ressort renforcée comme en témoigne cet article de PinkNews. »
J’ai ensuite donné la parole @lorenzopapace :
« L’article d’Arrêt sur images est une honte intergalactique. Mais malheureusement il se base sur certains faits (Casasnovas, Rochedy et co et le choix de méthode de cibler le Planning familial). La cible et la méthode sont toutes deux critiquables je trouve. C’est trop facile de nous caricaturer avec cette cible surtout quand la méthode employée c’est : “Allô Mme la première ministre vous pouvez s’il vous plaît menacer le Planning Familial de ne plus être subventionné ?”
Au final ce n’est ni les féministes, ni les queers, qui se renforcent mais l’État et sa légitimité à intervenir dans les histoires des femmes et donc c’est l’autonomie des femmes qui en souffre. Oui le Planning déconne mais tous les moyens sont-ils bons pour changer les choses ? Justifier que le ou la cheffe du gouvernement coupe le robinet, c’est hyper dangereux. J’aurais été moins gêné par un appel des mêmes féministes aux membres du Planning familial elles-mêmes, de régler ça entre femmes et non pas avec la menace de la police.
Mais pour compléter la réflexion sur le rôle de l’État, l’État fout vraiment la merde à tous les niveaux. Parce qu’une des raisons pour lesquelles deux féministes partent en éclaireuses en choisissant, comme elles peuvent, leurs moyens, c’est que des organisations plus conséquentes ne s’y lancent pas. Et pourquoi ? En partie par peur de perdre des subventions elles aussi.
Donc au final quoi ? Au final tout le monde craint de perdre des subventions, zéro autonomie, et la lutte consiste à faire craindre à son propre camp, encore plus, de voir ses subventions coupées. Alors que cette crainte fait partie du problème. Et comme le rappelle Sophie Robert, le Planning adopte aussi toute cette idéologie pour rester dans la course et à la mode. »
@pauline_seillan a ensuite émis une critique intéressante, que j’ai repartagé :
« Hey, pour moi ce que tu dis reviens à accuser les RadFems des attaques masculines contre les droits des femmes, ce qui est très choquant. Les femmes ne sont pas responsables de ce que font les hommes.
Plusieurs gros comptes de féministes libérales diffusent cette accusation pour nous discréditer. De plus, on pourrait tout à fait dire que la c’est la gauche queer qui pousse à la fragilisation des droits des femmes, car elle ne se mobilise plus ou très peu pour défendre les droits des femmes “cis”.
La gauche n’a pas besoin des attaques de droite pour participer au backlash contre les femmes (traitement médiatique sur Amber Heard, essoufflement de la lutte contre les féminicides, le “travail du sexe”, identité de genre, lesbophobie woke, violence transactiviste, etc…) »
Critique à laquelle j’ai répondu dans la foulée :
« Je pense qu’en tant que féministe, on a une responsabilité politique dans les choix publics qu’on effectue. Je suppose qu’un définancement du PF n’est pas quelque chose que souhaitent Dora ou Marguerite. Mais je doute, à long terme, que ce souhait soit pris en compte par les personnes et les médias avec lesquels elles travaillent.
Très clairement, la droite et la gauche ont leur responsabilité dans cette débâcle. En tant que féministes radicales, on marche sur une très fine ligne d’équilibriste et je pense qu’il faut faire attention aux basculements. Je pense également que c’est important de pouvoir critiquer son propre camp. Je sais que ce sont les hommes qui sont responsables du recul des droits des femmes. Je pense qu’il faut faire attention aux manières détournées qu’ils utilisent pour les faire reculer, dont l’instrumentalisation des féministes. »
J’ai ensuite partagé les messages de @lecahierdesinvisibles :
« Je suis globalement d’accord avec toi, je suis très mal à l’aise aussi avec les publications dans Marianne ou Le Figaro, et Sud Radio, c’est pire encore ! J’avais moi-même proposé mon aide pour la rédaction d’une tribune dans Marianne sur le transactivsime, mais après j’avais refusé de la signer… Donc vu que j’ai mes propres contradictions je ne vais pas juger les femmes qui décident d’être publiées dans des médias de droite ou d’extrême-droite (d’autant plus que pour moi Libération par exemple ou les nouveaux médias comme Konbini ou Fraîches c’est la droite aussi).
Par contre, je pense que c’est tout à fait légitime de critiquer ces actes et je pense, comme toi, que même si on gagne en visibilité, ce n’est jamais gratuit et donc sur le long terme ce n’est pas vraiment à l’avantage des féministes radicales.
Par exemple, je me souviens d’un passage de Kara Dansky [féministe radicale américaine, autrice de The Abolition of Sex, présidente de WDI USA] sur Fox News que j’avais repartagé ici en story, elle parlait de l’introduction du concept d’identité de genre dans la loi etc et je trouvais son intervention excellente donc je l’ai partagée. MAIS j’avais trouvé l’extrait sur Youtube (chaîne officielle de Fox News) et ils avaient mis en description ceci :
À aucun moment dans la vidéo Kara Dansky ne parle d’orientation sexuelle, mais la rédaction de Fox News n’a pas hésité à lier orientation sexuelle et identité de genre. Donc là un exemple de comment le passage d’une féministe radicale, femme de gauche, sur un média de droite sert les intérêts de la droite.
Je n’ai pas vraiment d’avis tranché sur : “Est-ce que les féministes radicales devraient passer dans les médias de droite ?” mais en tout cas c’est un débat qui mérite d’avoir lieu à mes yeux.
Au fond, je pense que le féminisme est radical, on se positionne nécessairement en opposition aux idéologies dominantes et donc aux médias dominants. On ne va pas gagner cette lutte en utilisant les mêmes outils que les courants dominants, surtout qu’utiliser les leurs outils implique aussi de sacrifier une partie de notre authenticité car les médias ont aussi une ligne éditoriale à respecter et vont pas publier tout ce qu’on aimerait. Donc l’idéal serait de s’imposer de façon indépendante (via des productions indépendantes, btw j’adore @floraisonsblog) et non pas de compter sur nos publications dans des médias mainstream pour diffuser nos idées. Mais que c’est plus facile à dire qu’à faire. »
Des messages qui rejoignent ceux de @vriegan (non partagés dans la story initiale), rappellant que le Women’s Liberation Front, WoLF, une organisation féministe majeure qui se bat contre l’auto-identification de genre s’est associée à Heritage Foundation, un des principaux think-tank des néo-conservateurs américains.
WoLF a fait le choix de cette alliance et l’a justifiée ainsi : « 1 – On peut avoir une stratégie commune sur un point avec un ennemi politique ; 2 – Les organisations politiques de gauche ostracisent le féminisme radical alors autant prendre ce que la droite donne ; 3 – Il y a aussi des femmes à droite qui doivent être touchées par les discours féministes ».
Enfin @vriegan rappelle :
« Les transactivistes marquent un point quand ils/elles disent que les féministes radicales/critiques du genre françaises “imitent” vos homologues anglo-saxons. Avec l’ironie qu’elles/ils le font aussi. On est tous et toutes impliquées par les phénomènes politiques qui se passent dans le monde anglo-saxon avec quelques années de retard. Même si ce sont des conflits de fond qui durent depuis un demi-siècle dans les milieux féministes, “LGBT+” et queers, je pense qu’il y a un phénomène extrêmement fort de polarisation qui nous vient des USA et de leur manière d’influencer le monde. »
Suite à des discussions que j’ai eu en parallèle en messages privés, j’ai aussi tenu à préciser l’une des raisons pour laquelle je ne soutiens pas une dénonciation et attaque du Planning familial impliquant les médias de droite, d’extrême-droite et qui en appelle à l’intervention de l’État. Je pense que même si le Planning familial promeut l’idéologie de genre dans ses campagnes nationales, cela ne veut pas dire que chaque implantation locale la porte, et que même au sein de celles qui la revendiquent, des femmes ne partagent pas nécessairement cette vision.
Je cite ainsi une story de @resistancelesbienne2 (site internet de Résistance Lesbienne) qui partage le message de l’une de leurs abonnées, retranscrit ici :
« Je suis engagée dans une association LGBT depuis 8 mois, j’ai fait des interventions en milieu scolaire, je prévois de lancer un projet autour de la santé mentale pour cette même association pourtant… je n’adhère pas entièrement à l’idéologie, voir même pas du tout à l’idéologie trans qui pour moi occulte tout. Pourtant je connais des personnes trans et je les respecte. Mon cœur, mes tripes me disent que je suis féministe radicale et pourtant je baigne dans le milieu queer dont l’idéologie est limite sectaire. Pour moi, enseigner à des ados qu’être une femme est un ressenti, c’était douloureux ».
Ces témoignages, ainsi que les exemples que certaines m’ont donné en messages privés, de Planning familial locaux refusant d’appliquer cette idéologie, me laissent penser que même au sein des PF qui l’appliquent, des femmes ne disent rien mais n’en pensent pas moins.
Mais peut-être pour elles, continuer à être utile et participer activement au soin et à l’accueil des femmes passe avant ces débats d’idées. Elles ne clament pas haut et fort leurs convictions profondes, elles les taisent pour mener un travail nécessaire qui aide de manière très concrète les femmes.
Plusieurs féministes radicales témoignent d’ailleurs de leur implication ou tentative d’implication au Planning familial sur le podcast Rebelles du Genre et la difficulté de le faire en assumant ses positions radicales. Audrey, autrice du blog Radcaen, véritable ressource féministe radicale sur l’idéologie de genre, raconte comment le Planning familial a mis un terme à son bénévolat suite à ses prises de position en ligne.
Même si évidemment, les activistes aident aussi les femmes à leur manière, matériellement, quotidiennement, ce soutien est moins palpable. C’est aussi ça que j’ai en tête lorsque je critique la stratégie qu’ont choisi Marguerite Stern et Dora Moutot.
En message privé, une femme témoigne (non partagé dans la story initiale) :
« Pour ma part j’ai beaucoup de mal avec cette polémique autour du Planning familial. Certes ça contribue à la légitimation du queerisme mais surtout : ça indique aux transmasc [Femme qui s’identifie comme homme] qu’ils sont les bienvenus, dans un espace où ils ne se sentent pas forcément légitimes/accueillis. Que le personnel du PF soit formé pour ne pas rire au nez d’un barbu chauve qui vient demander de l’aide pour une IVG.
Donc en soi c’est une affiche qui aide des femelles à avoir accès à la santé reproductive. Ce qui à mon sens est un des piliers des RadFems. Ce serait très différent si l’affiche était orientée envers les transfem [Homme qui s’identifie comme une femme] par exemple. D’ailleurs une autre affiche était parue au même moment : “Au Planning on sait qu’il y a encore plus de genres que de contraceptions différentes”, je suis étonnée que ce ne soit pas celle-ci qui ait fait polémique.
Et c’est toujours pareil : les lesbiennes ont beaucoup plus à perdre dans la “RadFémie” parce qu’on a besoin de la communauté gay donc on est beaucoup à côtoyer les milieux queer. Ça contribue au fait que les RadFems les plus médiatisées sont des hétéras qui ne mesurent pas l’impact que leurs discours ont sur les communautés gays. »
C’est pourquoi je pense qu’il est important de protéger les lieux qui prennent soin des femmes, comme il est tout aussi important de pouvoir les critiquer et de les interpeller lorsque leurs choix politiques promeuvent des pratiques dangereuses pour les filles et les femmes. Mais je trouve ça terrible d’en appeler à l’État patriarcal pour intervenir et faire la police alors que ses institutions n’ont pas nos intérêts à cœur.
J’ai terminé cette réflexion générale en réagissant aux stories postées par Marguerite Stern sur son compte @margueritestern_backup dans lesquelles elle réagissait à mes critiques et aux messages des abonnées que j’ai partagé. Elle y écrit entre autres :
« Bla-bla-bla, mais sinon au lieu de critiquer, faites mieux. Arrêtez de dire, faites » et « Arrêtez de parler de monter un média RadFem en vous servant du discours de @doramoutot, faites-le. »
J’ai répondu ainsi :
« Je pense que c’est important de prendre le temps de parler de ça. Vu le nombre de réactions que cette story suscite, clairement mon sentiment est largement partagé dans la sphère féministe radicale. Les espaces de parole sont rares, ils comptent, ils nous permettent de savoir comment on pense ce qu’on pense et pourquoi on le pense.
Discuter ici aujourd’hui ne veut pas dire que moi ou celles qui discutent ne font “rien” dans la “vraie vie” pour les femmes et la cause féministe. C’est mon cas, même si je n’en mets qu’une partie sur les réseaux sociaux.
Et par ailleurs, celles qui ne s’engagent pas “dans la vraie vie”, c’est OK. On n’a pas toutes ni l’envie ni les ressources pour le faire. Ça demande du temps, de l’énergie, on n’en est pas toutes capables et on n’a certainement pas toutes le temps. »
@paulinemakoveitchoux a complété :
« Beaucoup de femmes s’engagent dans la vraie vie. Dans leur vie de tous les jours, dans leur vie pro, perso, familiale, associative… Être militante ne se réduit pas à l’exposition médiatique ».
Une autre femme ajoute en message privé que l’injonction à l’engagement est dangereuse. La lutte des féministes radicales n’est pas sans risque : les multiples agressions que nous subissons en manifestation, parfois d’une grande violence, le cyberharcèlement que subissent Dora et Marguerite et d’autres doivent être bien pris en considération par celles qui souhaitent s’engager et se lancer dans une lutte publique.
Un tel engagement demande des ressources d’énergie, de soutien, que peu de femmes peuvent se permettre sans mettre, parfois sérieusement, en danger leurs moyens de subsistance, leur sociabilité, leur santé mentale et physique. C’est un combat juste mais profondément ingrat.
Ces désaccords sur les moyens d’actions illustrent la tension qui existe autour du débat dans la sphère féministe radicale. Mais les nombreuses réactions à ces stories et notamment la trentaine de personnes qui sont venues discuter avec moi en messages privés, en accord, et parfois en désaccord avec moi, ont, je pense, montré la nécessité d’ouvrir le débat.
Quant aux risques liés à l’idolâtrie que peuvent susciter Dora et Marguerite, je vous partage cette citation qu’une abonnée m’a envoyé de Nietzsche tirée de Ainsi parlait Zarathoustra : « Maintenant je vous ordonne de me perdre et de vous trouver vous-mêmes […] On n’a que peu de reconnaissance pour un maître, quand on reste toujours élève. »
En message privé, deux éléments sont le plus souvent revenus :
- La nécessité de créer un média féministe radical qui puisse exposer la pluralité de nos voix. J’espère que cette story et cet article participeront à encourager les femmes qui se sentent prêtes à se lancer dans cette aventure. Pour l’instant, les principaux médias féministes radicaux comme 4W ou The Radical Notion sont anglophones. Un besoin existe pour un tel média francophone, j’espère qu’il sera entendu.
- La prédominance du sujet de la transidentité dans la sphère féministe radicale et comment celui-ci tend à occulter les autres combats qu’on mène contre les féminicides, la porno-prostitution, le viol et toutes les violences masculines.
Il semble que nous soyons nombreuses à être tiraillées par l’envie de porter davantage ces sujets, de leur donner plus de place. Et en même temps, se fait ressentir de manière urgente la nécessité de réagir face aux attaques misogynes des militants queers, l’invisibilisation des femmes qu’ils imposent et leur redéfinition même du mot “femme”.
La remise en cause de la gauche et des milieux transactivistes suite aux scandales sanitaires à venir est loin d’être certaine. Je pense qu’il ne faut pas croire démesurément en un revirement d’opinion et en un désaveu complet de l’idéologie de genre dans les prochaines années. Les conséquences sont déjà là, même si elles vont s’amplifier. Je pense plus probable que les positions d’un côté et de l’autre se consolident et se radicalisent. D’où l’importance de faire attention dès maintenant aux personnes et organisations avec lesquelles on s’allie.
Face à d’un côté, les attaques des militants queer et de l’autre, la récupération par la droite et l’extrême droite de nos arguments, je pense qu’il est important de tracer une ligne féministe radicale profondément indépendante de ces deux courants qui ciblent tous deux l’autonomie et l’émancipation des femmes.
Enfin, même si le débat est souhaitable et nécessaire et même si nous ne sommes pas d’accord sur la stratégie à envisager, les féministes radicales restent unies par les valeurs que nous défendons face aux hommes et au patriarcat.
— Gwladys
Julia
Posted at 14:38h, 10 septembreMerci pour ces réflexions très enrichissantes.
J’apporte juste des informations qui peuvent vous inspirer. Comme vous le savez peut-être déjà, en Espagne le mouvement radfem est très développé et présent dans la vie politique et sociale.
Je vous fais part de deux initiatives que j’apprécie et soutiens : d’un côté, le podcast Radiojaputa qui lance une émission hebdo de 1h-1h30 sur des points spécifiques en lien avec le féminisme. Ce podcast est financé par ses auditrices et a déjà 5 saisons. D’un autre côté, l’alliance « contra borrado de la mujeres » (« contre l’effacement des femmes ») a crée un site très complet avec les dangers et conséquences du transactivisme. Je vous invite à y jeter un coup d’oeil car leur site est très complet. Peut-être pourrions-nous créer ce même type d’alliance ? De plus, elles ont lancé des campagnes et des demandes au gouvernement socialiste espagnol pour faire face au mouvement queer.
Je reviendrais vers vous à nouveau après d’autres réflexions.
Merci encore.
Elisa
Posted at 17:26h, 10 septembreMerci pour cet article et vos réflexions passionnantes.
Je souhaitais faire un commentaire pour apporter simplement une expérience personnelle :
Avant de découvrir tout les blogs radfem et entre autre ce blog-ci, n’étant dans aucun milieu militant et n’ayant pas de réseaux sociaux, le premier moyen pour comprendre ce qu’il se passait dans le féminisme a été de lire quelques articles sur des journaux à plus grande audience. J’ai toujours été très sensible à la cause féministe, j’avais lu quelques livres concernant le féminisme, j’ai toujours eu dans ma famille des femmes qui critiquaient le sexisme et la misogynie et j’ai vécu des expériences toute ma vie qui m’ont amenée à être critique du système patriarcal, mais je ne connaissais pas les “luttes internes”, je ne connaissais pas le nom de “radfem”, pour moi le féminisme était la lutte pour les droits des femmes, la lutte contre le sexisme, la lutte contre la prostitution et les tortures faites aux femmes. J’avais suivie un peu le mouvement me-too, je lisais beaucoup sur la santé des femmes.
Mais autour de moi de plus en plus de personnes (je précise que j’évolue professionnellement dans un milieu avec beaucoup de gens revendiqués de gauche) m’ont parlé de la transidentité ou se déclaraient non-binaires, et je trouvais personnellement le système trans très sexiste et allant à l’encontre des luttes féministes. J’ai voulu me renseigner sur le sujet, et j’ai été orientée vers des articles dans des médias dits de gauche, qui parlaient du clivage avec les “terfs” et qui semblaient faire un portrait de Marguerite Stern comme une horrible personne réactionnaire. J’ai voulu en savoir plus, savoir qui elle était, savoir pourquoi un groupe de femmes étaient portraiturées ainsi, et je suis tombée notamment sur une tribune qui avait été publiée dans Marianne pour défendre le droit des femmes basées sur le sexe (suffit-il de s’autoproclamer femme pour pouvoir exiger d’être considéré comme telle ?). J’essaie toujours de lire un article pour lui-même même quand je connais la ligne éditoriale d’un journal, pour essayer de n’avoir pas trop de préjugés et regarder la consistance réelle des arguments (ce qui me permet notamment de comprendre pourquoi je ne suis pas d’accord le cas échéant et construire mon propre argumentaire), et simplement là j’étais d’accord et il n’y avait pas grands points sur lesquels je pouvais faire une critique. Je me suis forcément sentie un peu bizarre d’être d’accord avec une tribune étiquetée “de droite” par des gens de gauche, sachant que je suis en désaccord avec la droite sur à peu près tout les sujets possibles. Mais j’ai été soulagée de voir d’autres femmes inquiètes et qui trouvaient problématique l’idéologie trans. J’ai ensuite continué ardemment mes recherches en regardant les noms des signataires de la tribune et ce fut de nombreuses heures réparties en journées à chercher sur le net avant de tomber sur les blogs de radfem. Quand on est pas du milieu, qu’on est pas trop sur internet et les réseaux sociaux, qu’on a pas le « jargon », on ne trouve pas les informations facilement. Vous pourrez me dire, mais c’est à moi de me responsabiliser, de m’informer et d’enquêter. Mais ce n’est pas si évident au début ! Ca demande beaucoup de temps, que tout le monde n’a pas. Je pense notamment à mes grands-parents qui lisent des journaux papier et écoutent la radio et qui sont loin de tomber sur ces blogs. Pourtant eux aussi sont concernés par le sujet (parfois de près, quand un membre de la famille se déclare trans). Probablement que si je n’étais pas tombée en premier lieu sur cette tribune publiée dans Marianne (qui est évidemment plus facile à trouver algorithmiquement que les blogs radfems), je me serais probablement dit “bon, toutes les personnes qui se revendiquent féministes qui m’entourent semblent être d’accord avec la notion d’identité de genre, tout les gens de gauches aussi apparemment, et il ne semble pas lieu d’en faire une polémique, donc je dois peut-être être folle ou bizarre de penser que y a quelque chose qui cloche”. Mais grâce à cette tribune, j’ai rencontré des noms de féministes et je me suis demandée : pourquoi le discours de ces féministes n’est relayée sur aucun médias de gauche ? Et je me suis mise à chercher. Je remercie donc quelque part Marguerite Stern car c’est grâce à l’opiniâtreté de son discours dans l’espace médiatisé que j’ai pu découvrir d’autres femmes qui réfléchissent aux mêmes sujets.
Vous me trouverez sûrement naïve, mais quand on n’est pas engagée politiquement au quotidien, c’est l’état dans lequel on est, ce qui ne veut pas dire qu’on ne réfléchit pas au monde qui nous entoure, on peut être dans sa vie très critique sur beaucoup de sujets mais ne pas avoir les codes politiques pour l’exprimer et ne pas trouver facilement les lieux d’expression qui résonnent avec nos idées, notamment quand on habite à la campagne.
Si vous créez un média radfem qui pourrait gagner en portée, ce serait magnifique et je vous soutiendrais avec joie.
Hauteclaire
Posted at 01:03h, 19 novembreArticle intéressant. Ce passage néanmoins m’a été violent, et marqué d’un mépris ou d’une forme de condescendance :
» Pour revenir aux médias de droite qui publient des textes féministes radicaux : n’oubliez jamais que s’ils les publient, c’est avant tout parce que ça sert leurs intérêts, dont le premier n’est pas la liberté d’expression, mais bien l’avancement d’idéologies profondément réactionnaires qui ont en cœur de cible les femmes et leur autonomie. »
Des femmes écrivent dans ces média, elles écrivent et elles pensent. Sous-entendre qu’elles sont utilisées malgré elle me parait profondément méprisant envers elles. Je trouve dans la presse de droite (je lis le Figaro) des papiers (écrits ou non par des hommes ou des femmes) où je retrouve l’expression d’une forme de recherche de la vérité sincère, et souvent délicate quand il est question du genre. Une honnêteté qui ne cherche pas à ménager ou à être gentille, progressiste à tout pris, comme j’en lis dans beaucoup de média de gauche. Après on est d’accord ou non avec le journaliste, mais il y a de bonnes surprises. Récemment, un article sur feu Christine and the Queens et ses multiples changements d’identité (le début de l’article s’honore par sa délicatesse quand à écrire sur quelque chose lié au genre autant que par la décision qu’il prend de le faire malgré tout) ; ou un article sur le féminisme chez les conservateurs, sa perception contemporaine. On se rend compte que la réticence à employer ce mot est faite d’a priori, de sémantique.
Il me semble qu’Eugénie Bastié et Charlotte d’Ornelas ne pensent pas contre elles, ni contre nous.
Personnellement, je trouve plus d’honnêteté dans la démarche dans la presse de droite. Je ne suis pas toujours d’accord, mais je ne paye pas mon abonnement seulement pour lire ce que j’ai envie d’entendre. Dans la presse de gauche, au contraire, je trouve souvent de la mauvaise foi et des raccourcis qui semblent ne pas vouloir de mal. A droite, je trouve qu’il y a justement une forme de courage, d’écrire ce que l’on pense même si c’est imparfait, et donc que ça n’emporte pas l’adhésion. Mais on accède à la raison, à toujours plus de vérité en assumant d’essayer, et les média dits de droite m’apportent plus de contradictions, de matière à penser, de résistance, que les média de gauche. Je ne suis pas toujours d’accord *et* j’entends des interprétations que je partage. Ne pas être d’accord m’oblige à raisonner, à formuler pourquoi.
Penser est provocant en soi, réfléchir implique de se démarquer, et d’être seul possiblement, avant de se rasseoir si on estime qu’on s’est trompé. Je ne cherche pas une presse provocante dans sa radicalité (de droite, souvent) mais quelque part toute « l’originalité », la « fierté », la singularité etc que l’on prône (et dans les milieux progressistes, queer etc, et grosso modo dans l’air du temps) représente une forme de créativité, selon moi. Penser radical, même à côté de la plaque mais oser explorer cette idée, cette interprétation-là, me paraît sain. Et dangereux. Mais réfléchir est une aventure, qu’on mène seul, au risque d’être incompris des autres.
Je pense qu’un féminisme radical a peur de la droite et de son « decorum », de ses connotations ; comme une droite a peur du féminisme (le mot seul) à cause de ce que ça leur évoque. Le courage c’est de penser aussi contre soi, pas seulement contre les autres (malgré soi).
Quand on est de gauche ce serait dur ou gênant à admettre, mais à droite il y a aussi de la raison, et des gens qui recherchent honnêtement les choses. Et pareil pour les gens de droite, femmes ou non, pour qui ce qui est dit de gauche implique une certaine caricature.
Chercher à lire et à gauche et à droite, avec un intérêt sincère et humble, prête à admettre (même si ça fait mal, surtout si ça fait mal) qu’il y a des idées partout. Ce n’est pas être relativiste ou au centre, c’est penser sous tension. Le féminisme radical est déjà sous tension ; il y a des gens qui ont l’amour de la vérité, qui essayent ou voudraient mener sa recherche honnêtement, à gauche et à droite. Et nous avons de ces gens, même de droite.
Faut-il attendre qu’ils viennent à nous, ou prendre le risque d’aller vers eux, quitte à avoir peur de « se perdre », d’être « contaminée » ? On pourrait prendre l’exercice comme des voyageurs rencontrant une autre culture. Ou l’on juge, on insiste pour marquer la séparation (moi civilisé, toi… *différent*, exotique, original, particulier) ; ou l’on met de l’eau dans son vin (qui revient à de l’eau dans de l’eau, au final), parce que si ces gens de droite ne nous « ressemblent pas » et qu’ils ne vivent ni ne voient la vie comme nous, ils sont aussi humains (narmol), et à ce titre on peut considérer qu’ils peuvent aussi mener, pour certains, comme nous, une démarche honnête et juste, miroir de la nôtre.
On a besoin des gens de droite pour peser, et pas seulement, pas du tout pour le poids que ça donne : on a besoin d’eux, parce que ce que plaide le féminisme radical est juste. La vérité est un bien grand mot, mais c’est cela que nous tentons de ramener au centre, humblement mais fermement, de rappeler qu’il existe des choses en dépit et au-delà de nous, qu’on peut appeler la vérité. Un radical, en somme, une fondation que tous peuvent saisir et entendre. Le matériel est une forme de la vérité, et cela je suis sûre que des gens à droite peuvent l’entendre, et « qu’être à/de droite », pour eux, cela veut dire qu’ils ont trouvé « de ce côté » une forme de recherche ou de formulation plus juste.
Bref, ni de gauche ni de droite, mais les deux. On veut être juste, avant d’être d’un côté. C’est mon sentiment, et je me sens méprisée comme personne et comme femme quand je lis partout que les média de droite sont en fait faux, vicelards et traîtres. C’est presque infantiliser les gens qui les lisent, qui y écrivent, voire les insulter de bêtise franchement.