Sexologie et antiféminisme — par Sheila Jeffreys 22 Déc 2021
The Sexual Liberals and the Attack on Feminism, est un ouvrage édité par Dorchen Leidholdt et Janice G. Raymond en 1990. Le 6 avril 1987, huit cents personnes remplirent un des auditorium de la New York University Law School, alors que des centaines d’autres restèrent à la diffusion extérieure sur écrans. Elles venaient écouter des grandes figures du féminisme, autrices, penseuses, et militantes s’exprimer contre une idéologie et un programme qui, selon elles, détruisait le féminisme en se faisant passer pour son meilleur ami. « Sexologie et antiféminisme » est la retranscription de l’allocution de Sheila Jeffreys « Sexology and Antifeminism », dont nous avons réalisé la traduction ci-dessous.
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|Dossier : Le libéralisme sexuel à l’assaut du féminisme |
|Livre : version complète en anglais |
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Je suis engagée au Royaume-Uni dans la lutte féministe contre la pornographie depuis 1978. Au cours des premières années, ce mouvement a connu un formidable essor, puis, à notre grand étonnement, nous avons rencontré une forte opposition venant d’une direction inattendue. Peut-être aurions-nous dû nous y préparer, mais ce n’était pas le cas. Dans les conférences féministes socialistes — surtout dans les conférences de gauche — certaines femmes se décrivant comme féministes passaient leur temps à dénigrer les féministes luttant contre la pornographie.
Cette attaque venant de l’intérieur du féminisme nous a déconcerté, d’autant plus qu’elle n’a cessé de grandir. Notre tâche est devenue de plus en plus compliquée. Certaines féministes annonçaient à quel point la lutte contre la pornographie était ridicule dans toutes sortes de revues et d’occasions. Pendant de nombreuses années, nous avons toutes convenu, en tant que très bonnes féministes, d’éviter à tout prix l’hostilité horizontale. Nous avons refusé de consacrer du temps et de l’énergie à contrecarrer la campagne menée à notre encontre par des femmes se qualifiant de féministes. J’ai cependant fini par penser qu’il fallait combattre directement ce contrecoup [“backlash” en anglais].
Ces femmes ne sont, bien entendu, pas les seules à mener cette attaque. Elles sont accompagnées par les libéraux sexuels de gauche – en particulier des hommes – et par une grande partie du mouvement gay masculin. Le contrecoup est lancé par ces milieux, et il se déroule également au sein du féminisme. Mon objectif est de repousser les arguments brandis contre nous par toutes ces personnes. Il est temps, je pense, que nous nous défendions.
ANTIFÉMINISME ET RÉFORME SEXUELLE AU DÉBUT DU 20e SIÈCLE
Je veux montrer qu’un retour de bâton contre les féministes s’est déjà produit de façon similaire contre la première vague du féminisme. Ce contrecoup du début du 20e siècle jusqu’aux années 1920 est ce que les historiens appellent la première révolution sexuelle du 20e siècle. Il y en aurait eu deux, une dans les années 1920, une autre dans les années 1960. Mais selon moi cette soi-disant révolution sexuelle a été en réalité un retour de bâton contre les féministes, et les valeurs résultant de cette révolution sont aujourd’hui promues par les libéraux sexuels dans leur nouvelle attaque contre le féminisme. [1]
Il n’y a là, à mon avis, rien de controversé, puisque les libéraux sexuels eux-mêmes sont trop heureux de souligner leurs liens avec les sexologues et les acteurs de la réforme sexuelle qui ont participé à ce contrecoup contre les féministes du début du siècle. Ainsi, Gayle Rubin, promotrice du BDSM [t1] et libertarienne sexuelle, appartient à la tradition pro-sexe élaborée par le réformateur sexuel Havelock Ellis (Gayle Rubin, 1984). Selon elle, les féministes qui luttent contre la pornographie et la violence sexuelle masculine s’inscrivent dans la tradition “anti-sexe”, qui a débuté avec la première vague du féminisme. Je me considère, avec fierté, comme appartenant à cette tradition, même si, bien sûr, je ne la qualifie pas exactement d’anti-sexe.
Je prends Gayle Rubin au sérieux. Elle s’inscrit à n’en pas douter dans la tradition de Havelock Ellis. Je voudrais vous dire certaines choses sur lui que vous connaissez déjà si vous avez lu mon livre. Son travail mérite d’être étudié parce que les libéraux sexuels le considèrent comme extrêmement important. On lui consacre aujourd’hui des livres entiers pour se répandre en éloges sur les bienfaits qu’il aurait apporté aux femmes et à la société.
Avant d’examiner ce qu’il disait, j’aimerais parler du féminisme de la fin du 19e siècle et la façon dont il considérait la sexualité (Sheila Jeffreys, 1985 ; Sheila Jeffreys, 1987). Je suis titulaire d’une maîtrise en études sociales sur la fin de l’époque victorienne et l’époque édouardienne, couvrant les réalisations féministes sur d’autres questions. Mais avant d’examiner ces travaux, j’ignorais l’existence de luttes sérieuses sur la sexualité ou la violence contre les femmes, puisque ces travaux sont absents des manuels. Ils ne figurent pas dans les anthologies nous rapportant ce que disaient ces femmes. Dès lors, il n’existe aucun moyen de découvrir leurs idées. Je ne pense pas que ce soit par accident que ces efforts considérables dans lesquels les féministes se sont engagées soient effacés de l’histoire du féminisme. Je pense que c’est tout à fait délibéré. Il est très difficile de les faire émerger de l’histoire, de les ramener à la conscience collective pour les rendre disponibles. Je crains fort que les initiatives dans lesquelles nous sommes engagées aujourd’hui ne soient effacées de l’histoire de la même manière.
Les sexologues et les réformateurs sexuels ont dénoncé les féministes de la précédente vague comme des prudes anti-sexe opposées aux intérêts des femmes. Les historiens les ont représentées de la même façon jusqu’à présent. Les libéraux sexuels font de même aujourd’hui. Et c’est ainsi qu’ils écrivent notre histoire.
Lorsque j’ai commencé à étudier les revendications féministes de la fin du 19e siècle, je savais que les femmes avaient participé à la lutte contre la prostitution, grâce aux travaux d’histoire féministes existants à propos des Lois sur les maladies contagieuses [Contagious Diseases Acts]. Ce qui m’a étonné chez ces femmes, c’est leur langage farouchement féministe. Elles décrivaient l’utilisation des femmes prostituées par les hommes comme une violence contre les femmes, comme une division de ce qu’elles appelaient la classe des femmes, pour qu’une partie soit mise à la disposition de la volonté des hommes. J’ai été surprise par la puissance du langage utilisé et par la manière dont ces autrices décrivaient sans ambages les abus des hommes contre les femmes prostituées, et ciblaient directement les hommes dans leurs discours.
J’ai ensuite découvert quelque chose dont je n’avais aucune idée et sur laquelle il n’y avait pratiquement aucune information dans les sources complémentaires : ces femmes ont mené pendant cinquante ans une campagne contre la violence sexuelle à l’égard des enfants. Cette campagne a été lancée dans le cadre de la lutte contre la prostitution et s’est d’abord concentrée sur l’augmentation de l’âge du consentement pour les jeunes filles, afin d’empêcher leur exploitation dans la prostitution. Il n’existait alors pas de loi interdisant aux hommes d’utiliser des femmes prostituées, mais des lois sur l’âge du consentement ont pu au moins mettre les jeunes filles hors de portée des hommes. Au Royaume-Uni, cette campagne est parvenue à augmenter l’âge du consentement à 16 ans pour les rapports sexuels en 1885, et à 16 ans pour l’attentat à la pudeur en 1922. Cela a pris cinquante ans.
Les féministes ne cherchaient pas simplement à relever l’âge du consentement. Elles luttaient contre l’inceste, en tant que crime de la famille patriarcale, des hommes contre les femmes, et observaient par ailleurs que les abus sexuels sur les enfants étaient commis par les hommes de toutes les classes. Elles se sont battues pour que les jury de femmes, les magistrats, la police des femmes s’occupent des victimes. Elles ont mis en place des refuges pour les femmes fuyant la prostitution. Autant de réformes que je croyais à tort avoir été été inventées par la présente vague du féminisme, qui les a en fait reprises.
J’ai été énormément impressionnée par ces féministes. Pour tout vous dire, j’étais assise à la bibliothèque Fawcett de Londres, terriblement excitée et désireuse de partager mes découvertes avec le monde entier. Des théoriciennes féministes comme Elisabeth Wolstenholme Elmy et Frances Swiney écrivaient à cette époque sur la sexualité. Nous n’avons pas eu accès à leurs travaux parce qu’elles n’ont pas été pris au sérieux. Lorsqu’il est question d’elles dans les livres d’histoire, elles sont simplement qualifiées de prudes et de puritaines, leurs idées sont considérées comme rétrogrades. Ces femmes affirmaient que la subordination sexuelle des femmes — l’appropriation de leurs corps pour l’usage des hommes — constituait la racine de l’oppression des femmes.
Il est intéressant de noter que ces deux femmes, Swiney et Elmy, ont clairement exprimé en leur temps leur désaccord avec la pratique des rapports sexuels. Ces derniers sont tellement sacrés aujourd’hui qu’il est presque impossible d’envisager sérieusement leur critique. Tout se passe comme si cette pratique sexuelle était, depuis cent ans, imposée aux femmes de façon totale et obligatoire, de sorte qu’elles n’aient aucun moyen de s’en libérer ou d’y échapper.
Pourtant à la fin du 19e siècle, des féministes formulaient ces critiques. Elles étaient prêtes à dire, par exemple, que les rapports sexuels sont dangereux pour la santé des femmes, qu’il provoquent des grossesses non désirées ou obligent les femmes à utiliser des formes de technologie, de contraception, qui les humilient et les réduisent à de simples objets à disposition des hommes. Les féministes ont souligné que les maladies sexuellement transmissibles mettaient en danger la vie des femmes. Selon elles, les rapports sexuels étaient humiliants parce qu’ils sont le plus à même d’illustrer et d’incarner la domination des hommes sur les femmes. Elles pensaient que cette pratique ne devait avoir lieu qu’à des fins de reproduction, peut-être tous les trois ou quatre ans. Si vous exprimez des idées pareilles aujourd’hui, on dira que vous avez perdu la raison. Mais elles étaient à cette époque parfaitement courantes, avancées par des femmes mariées respectables, dont l’une était mariée à un général.
Ces femmes faisaient radicalement campagne pour le droit des femmes à disposer de leur propre corps et à en contrôler l’accès. L’intégrité du corps de la femme était la pierre angulaire de leur campagne.
Les efforts de ces femmes sont maintenant considérés par les libéraux sexuels comme rétrogrades et dangereux. On peut prendre pour exemple le texte de Linda Gordon et Ellen Dubois, deux historiennes américaines, présenté à la conférence Barnard sur la sexualité (Ellen Carol Dubois et Linda Gordon, 1984). Certaines d’entre vous connaissent peut-être cette conférence et l’anthologie qui en est issue, « Plaisir et danger ». L’article principal de Gordon et Dubois issu de ce volume, « À la poursuite de l’extase sur le champ de bataille », parle des luttes féministes de la fin du 19e siècle. Dans cet article, elles suggèrent que, malgré les bonnes intentions de ces féministes, elles se sont alliées à des forces conservatrices et ont finalement fait du tort au féminisme et au plaisir sexuel des femmes.
Mais comment ces féministes ont-elles été enlevées de l’histoire ? Comment leur travail a-t-il été interrompu ? Pour répondre à ces questions, je me suis penchée sur les écrits du mouvement pour la réforme sexuelle, et sur la “science du sexe” fondée à la fin du 19e siècle. Vous savez probablement qu’au 19e siècle, les hommes scientifiques de l’époque victorienne ont mis en place des systèmes de classification des insectes, des pierres, de toutes sortes de choses. Ils étaient passionnés par la classification parce qu’ils voulaient tout contrôler, et ranger dans la bonne case est rassurant. À la fin du 19e siècle, ils ont poursuivi cette démarche avec la sexualité. Les médecins, par exemple, ont commencé à définir les “perversions” sexuelles. L’objectif de cette soi-disant nouvelle science était d’établir quelles étaient les bonnes et les mauvaises manières d’agir en matière de sexe.
Au début du 20e siècle, le nom le plus célèbre de la sexologie au Royaume-Uni — probablement dans le monde entier — était Havelock Ellis. Bien que Freud soit un sexologue au nom plus familier et qu’il ait été en correspondance avec Havelock Ellis, lorsque nous examinons les conseils de la plupart des manuels de mariage, ce sont les mots et les idées de Havelock Ellis que nous trouvons, pas ceux de Sigmund Freud. Havelock Ellis est votre gentil voisin sexologue.
Ellis est considéré comme le père fondateur de la littérature de conseils sexuels. Ainsi, Jeffrey Weeks, un historien gay libertarien sexuel contemporain, décrit le travail d’Ellis comme “l’une des sources d’où le courant du libéralisme sexuel s’est écoulé avec une apparente facilité » (Sheila Rowbotham et Jeffrey Weeks, 1977). Edward Brecher le décrit comme “le premier des partisans du Oui” à la sexualité (Edward Brecher, 1970). Il ne fait aucun doute qu’il exerce et a exercé une influence considérable.
Il a tout d’abord soutenu que les hommes et les femmes étaient entièrement différents sur le plan biologique, donc psychologique. Partant de cette idée de différence, il a opéré une distinction catégorique entre la sexualité des masculine et masculine. Comme on pouvait s’y attendre, sa cartographie présente la sexualité des hommes comme absolument et inévitablement agressive, se distinguant par la poursuite et la capture. Il serait normal et inévitable que les hommes prennent du plaisir à infliger de la douleur aux femmes (Sheila Jeffreys, 1987). Quant à la sexualité de la femme, il la qualifiait de passive. Les femmes sont censées être capturées et prendre “plaisir” à souffrir aux mains de leurs amants masculins.
Selon Ellis, la sexualité féminine est le fruit de l’évolution et provient des animaux femelles qui étaient coquettes afin d’attirer leurs congénères mâles. La femme humaine, dès lors, devait être coquette. Elle était censée regarder par-dessus son épaule, pour provoquer l’animal mâle. Au dernier moment, il lui fallait succomber. La sexualité féminine était donc passive et masochiste. Comment Ellis savait-il cela ? Eh bien, disait-il, c’est évident. Il observait qu’en France, les femmes aimaient être battues par leurs proxénètes ; dans la classe ouvrière de l’East End de Londres, les femmes aimaient être battues par leurs maris ; et puis il y avait cette femme ayant subie une clitoridectomie et ressentant un orgasme au moment où le scalpel lui traversait le clitoris. Ellis était formel, on peut lire sur le visage d’une femme qu’elle ressent de la douleur pendant l’orgasme. Pour les femmes, a-t-il conclu, douleur et plaisir sont inextricablement liés.
Il est important de rappeler que tout au long du siècle, les féministes ont critiqué ces sexologues. Elles ont également critiqué Ellis. Il a répondu que, malgré ce que disent les féministes, le plaisir que trouvent les femmes dans la douleur est si manifeste qu’il n’y a aucune raison de prendre les arguments des féministes au sérieux.
En plus d’insister sur le fait que la sexualité est inévitablement basée sur le sadomasochisme, Ellis avait d’autres choses à nous apprendre. Le plaisir de la femme pour la douleur et l’agression signifiait selon lui que les abus sexuels ne pouvaient pas être pris au sérieux. Les femmes se plaignant de viol étaient juste restées dehors plus tard que ne le voulaient leurs parents — il fallait bien trouver une excuse en rentrant à la maison. La grande majorité des cas d’abus sexuels sur des enfants étaient inventés. Il devrait y avoir des sphères séparées pour les hommes et les femmes. Les femmes devraient rester à la maison au lieu de sortir pour travailler. Elles devraient consacrer toute leur énergie à la grossesse puisque “la reproduction des hommes repose en grande partie entre les mains des femmes” (Havelock Ellis, 1917).
Ellis a joué un rôle crucial dans la lutte contre toutes les idées féministes développées à la fin du 19e siècle. Pourquoi alors a-t-il été considéré comme aussi progressiste ? L’une des raisons est qu’il ne s’est pas contenté de dire que les femmes doivent avoir et doivent aimer les rapports sexuels. Il a parlé des préliminaires. Selon le concept des préliminaires, avant que les hommes ne s’engagent dans l’acte qu’ils souhaitent accomplir, il faut préparer les femmes à cette entreprise. C’est comme remonter une horloge. Il s’agit d’une étape nécessaire parce que les femmes sont lentes. Elles ont besoin de temps pour comprendre ce qu’elles veulent vraiment faire ou ce qui leur donne vraiment du plaisir. Elles ont donc besoin d’une stimulation.
On a appelé ceci les préliminaires, et Ellis est considéré comme leur inventeur. Il s’agit d’un concept sexuel extraordinaire, connaissez-vous un seul livre d’éducation sexuelle qui ne soit pas basé sur ce concept ?
Avant de laisser Havelock Ellis, j’aimerais dire quelque chose sur ses penchants sexuels. Je pense qu’il est très important que nous comprenions en détail ces sexologues et leurs centres d’intérêt. Grâce à son influence, Havelock Ellis a enseigné, au travers une centaine d’années de livres de conseils sexuels, comment les rapports sexuels devaient se dérouler, ce que les hommes devaient faire et ce que les femmes devaient ressentir. Autant qu’on sache, il n’a quasiment pas, voire jamais, pratiqué cet acte lui-même. Il ne s’agissait pas de quelque chose d’inhabituel mais de courant chez les sexologues du 20e siècle. Lorsque vous lisez leurs biographies, vous découvrez qu’ils n’ont jamais fait ce qu’ils prescrivaient au reste du monde.
La pratique sexuelle préférée de Havelock Ellis était l’urolagnie — regarder les femmes uriner. Il invitait des femmes à lui rendre visite et leur demandait d’aller dans une pièce et d’uriner dans un pot, la porte ouverte, afin qu’il puisse entendre, sinon clairement voir, ce qu’elles faisaient. Il a demandé à des femmes et à des réformateurs sexuels très connus de le faire pour lui. Nous avons la chance de disposer d’une trace de ses sentiments sur cette pratique : il a écrit des poèmes à son sujet. Étant donné qu’il est considéré comme un grand penseur et le père des manuels sexuels, sa poésie mérite d’être mentionnée. La voici :
Elle couchait nue près de mon cœur.
Et du meilleur aplomb, jambes bien écartées,
De ses poils bruns roux, touffe de couleur,
Une merveilleuse courbe de fontaine sans pudeur,
Dans les airs, un fluide arc-en-ciel,
Sans l’inquiéter quand d’autres femmes ont peur,
contemple-t-elle comme ça tombe, vacille, et ruisselle.
(Eric Trudgill, 1976)
Vous avez peut-être remarqué quelque chose d’étrange dans cette description, qui ne concorde pas avec ce que vous savez sur la biologie des femmes. Peu de femmes ont, en effet, des courbes de fontaine et des arcs-en-ciel. Il s’agit certainement d’un indice qu’Ellis ne s’intéressait pas véritablement aux femmes qui urinent.
Un autre soi-disant signe du progressisme d’Ellis est qu’il a défendu le droit des femmes au plaisir sexuel. Il a écrit un article intitulé « Les droits érotiques des femmes », dans lequel il a affirmé que les femmes pouvaient et devaient avoir du plaisir sexuel (Havelock Ellis, 1913). On imagine facilement, compte tenu de ce qu’était probablement l’état d’ignorance sur les pratiques sexuelles au 19e siècle, que beaucoup de personnes lisant cet article aujourd’hui le considéreraient comme extrêmement progressiste. Mais il est important d’examiner le concept de plaisir sexuel selon Ellis.
LE CONCEPT DE PLAISIR SEXUEL
Il est généralement admis que les sexologues, les réformateurs sexuels et les sexothérapeutes du 20e siècle se sont évertués à faire en sorte que les femmes apprécient l’acte sexuel. C’est pourquoi les femmes ont parfois considéré à tort que l’industrie de la sexothérapie servait leurs intérêts. Cette perception erronée a empêché certaines femmes de porter un regard critique sur cette industrie.
Il est très regrettable que nous n’ayons pas de mot dans notre langue qui nous permette de parler d’une réponse sexuelle, d’une sensation sexuelle, qui n’est pas positive. Le seul mot à disposition est “plaisir”. Par conséquent, les publications des libertariens sexuels et la compréhension générale du sexe partent du principe que toute forme de réponse ou de sensation sexuelle est en quelque sorte positive. Cette lacune linguistique entraîne une confusion considérable. Nous avons désespérément besoin du mot qui nous permettra de décrire une sensation sexuelle qui n’est pas positive, qui n’est pas dans notre intérêt, et nous le trouverons bientôt, je l’espère. Un tel mot devrait synthétiser les sentiments d’humiliation, de trahison, de négativité que les femmes éprouvent souvent au moment de ce qu’on appelle l’excitation sexuelle. Ces sentiments négatifs sont associés à l’excitation sexuelle provenant de la littérature, des images, des actes, des expériences et des fantasmes qui nous sont imposés, qui nous humilient, qui nous dégradent.
Dans « À la poursuite de l’extase sur le champ de bataille », Gordon et Dubois donnent un exemple des problèmes que pose le concept unidimensionnel de “plaisir sexuel”. Elles affirment que les femmes de la classe moyenne de la fin du 19e siècle résistaient très clairement au patriarcat (Ellen Carol Dubois et Linda Gordon, 1984). Comment le savons-nous ? Eh bien, parce qu’apparemment, un grand nombre d’entre elles avaient des orgasmes. Selon une enquête, 40 % d’entre elles avaient des orgasmes occasionnels et 20 % en avaient fréquemment. Gordon et Dubois considèrent cela comme formidablement révolutionnaire.
Ces femmes de la classe moyenne étaient sous l’emprise des relations patriarcales traditionnelles, dans lesquelles les hommes monopolisaient le pouvoir. Elles étaient probablement simplement utilisées comme des crachoirs pendant le sexe. Dans une telle situation, l’orgasme était-il quelque chose de positif, de valorisant, une quelconque forme de résistance à l’oppression patriarcale ? Je dirais que non, à moins de considérer le fameux bonheur de l’ouvrier japonais à l’usine comme une forme de résistance au capitalisme. Si nous ne voyons pas le bonheur au travail comme une forme de résistance, alors il est impossible de voir l’orgasme de la femme de la classe moyenne au 19e siècle comme le signe inéluctable de la résistance à l’oppression patriarcale. J’ai plutôt tendance à le voir comme une accommodation à cette oppression. Ces femmes avaient appris à tirer du “plaisir” de leur propre subordination. S’agissait-il véritablement d’un plaisir ?
D’autres exemples montrent que l’orgasme ne peut pas être systématiquement considéré comme positif et agréable. Par exemple, des anciens combattants du Vietnam ont eu des orgasmes en tuant des femmes pendant la guerre ; des violeurs ont des orgasmes en violant des femmes (Deborah Cameron & Elizabeth Frazer, 1987). Tout cela, nous le savons. En ce qui concerne les hommes, il est certain que ce que l’on appelle orgasme ou réponse sexuelle ne peut être considéré comme nécessairement positif. Les femmes ont eu des orgasmes lors d’abus sexuels pendant leur enfance et peuvent avoir des orgasmes pendant un viol. Nous ne devons pas le cacher, car c’est ce qui se passe. Comment pouvons-nous considérer cela comme un plaisir ? On l’appelle plaisir sexuel parce que nous ne disposons pas d’autre mot. Voilà pourquoi nous avons urgemment besoin de ce mot.
Nous devons comprendre que la réponse sexuelle et l’orgasme des femmes ne sont pas nécessairement agréables et positifs. Cela peut être un réel problème. Il peut s’agir d’une accommodation à notre oppression, de l’érotisation de notre subordination. Nous devons comprendre que le mot plaisir est souvent utilisé pour désigner ce que nous vivons comme une humiliation et une trahison. Nous devons faire confiance à ces sentiments et les suivre, au lieu de nous laisser persuader par les libertariens sexuels qui nous disent le contraire.
En outre, nous devons reconsidérer les cent années de sexologie et de réforme sexuelle visant à garantir le droit des femmes à prendre du “plaisir” dans les rapports sexuels. Nous devons également garder à l’esprit que, dès le début, ces sexologues ont été antiféministes.
Les guides sexuels publiés dans les années 1920, la période de la première révolution sexuelle du 20e siècle, condamnaient la vieille fille et la lesbienne. Ils enseignaient que toutes les femmes devaient avoir des rapports sexuels et y prendre du plaisir. Durant cette période, qui suit immédiatement la Première Guerre mondiale, de nombreuses femmes ont bénéficié d’une plus grande liberté et indépendance qu’auparavant. Le fait qu’un grand nombre de femmes ne se sont pas mariées, ont choisi l’indépendance et ont lutté contre la violence masculine a suscité une vive inquiétude. Cette inquiétude est manifeste dans la littérature sexologique.
En réponse à leur angoisse, les sexologues ont alors inventé le concept de frigidité chez les femmes. Ils ont découvert qu’un nombre très important de femmes n’étaient pas enthousiastes, voire absolument opposées, à l’idée d’avoir des rapports sexuels, contrairement à ce qu’on attendait d’elles. Les féministes de la fin du 19e siècle, il faut le rappeler, avaient souvent dit n’avoir aucune envie de le faire. Sur le plan politique, elles pensaient en outre qu’aucune femme ne devrait avoir des rapports sexuels contraints. De toute évidence, il fallait faire quelque chose pour résoudre ce problème. C’est pourquoi le concept de frigidité a été inventé.
Tout au long du 20e siècle, les femmes étaient le problème à résoudre par la sexologie et la réforme sexuelle. Petit à petit, les frontières ont été repoussées, comme le diraient les révolutionnaires sexuels. De plus en plus de pratiques sont devenues parfaitement normales. C’est-à-dire que les femmes ont dû les apprécier avec enthousiasme. Les femmes ont toujours été un problème parce qu’elles n’ont jamais fait preuve de l’enthousiasme approprié. Au début, les femmes devaient simplement apprécier les rapports sexuels. Puis est apparu le magazine Forum. À la fin des années 1960 et dans les années 1970, les femmes devaient alors apprécier la fessée et la gorge profonde. Dans le livre « Les joies du sexe » d’Alex Comfort, les femmes devaient aimer le BDSM et s’habiller comme un croisement entre un “serpent et un phoque” (Alex Comfort, 1979). Compte tenu de toutes ces choses que les femmes étaient sommées d’apprécier, vous comprenez pourquoi le manque d’enthousiasme des femmes constituait un problème. C’est toujours le cas.
Dans les années 1920, lorsque le concept de frigidité a été inventé pour expliquer le manque d’enthousiasme des femmes lors des rapports sexuels dans une relation traditionnellement dominée par les hommes, les sexologues ont essayé de déterminer combien de femmes étaient frigides. Certains ont répondu 100 %, mais ils n’étaient pas sûrs. D’autres ont dit 60 %, et d’autres encore 40 %. Quelle en était la cause ? Ils ont suggéré le lesbianisme, la masturbation, la constipation. Par conséquence, la frigidité n’était pas une absence de sensations sexuelles, puisque les femmes éprouvaient clairement ces sensations dans la masturbation et le lesbianisme. La frigidité signifiait l’absence de fascination et d’enthousiasme de rigueur pour les relations sexuelles.
Lorsque j’ai lu ces documents, j’ai été stupéfaite de constater la franchise totale des sexologues sur ce qu’ils considéraient comme la nature et le but du plaisir sexuel des femmes. J’ai lu, par exemple, l’ouvrage en deux volumes de Wilhelm Stekel, La Femme frigide. Dans cet ouvrage, Stekel, un psychanalyste, était très clair. Il croyait que les femmes devaient jouir des rapports sexuels parce que leur jouissance allait les subordonner à l’homme dans cet acte, ainsi que dans tous les aspects de leur vie. Stekel a résumé ce message en une brève remarque : “Être excitée par un homme signifie se reconnaître conquise” (Wilhelm Stekel, 1936). Stekel considérait la frigidité des femmes comme une arme dans la guerre des sexes. Le refus des rapports sexuels de la part des femmes faisait planer une menace sur la civilisation. Par civilisation il entendait bien sûr la domination masculine. Les femmes devaient donc accepter ces rapports sexuels afin que perdure cette domination.
Le Mariage parfait de Van de Velde, qui s’est bien vendu jusque dans les années 1960 et au début des années 1970, est l’un des principaux ouvrages de conseils sexuels de ce siècle. Van de Velde définissait la frigidité comme “l’hostilité de la femme envers son mari” (Thomas Van de Velde, 1931). Les femmes frigides devaient être envoyées chez des gynécologues ou des psychanalystes, pour résoudre leur problème, à savoir, comme il le disait clairement, leur résistance au pouvoir masculin.
Ainsi, dans les années 1920, le plaisir des femmes dans les rapports sexuels est devenu un moyen de subordonner les femmes aux hommes dans cet acte et dans tous les aspects de leurs relations et de leur vie. Il s’agit d’un thème majeur dans les ouvrages de sexologie tout au long du 20e siècle.
La fin des années 1940 et le début des années 1950 constituent une période très intéressante. Il s’agit à nouveau d’une période d’après-guerre pendant laquelle il fallait s’occuper de l’indépendance des femmes et du fait que beaucoup d’entre elles manquait à nouveau d’enthousiasme. À cette époque également, la frigidité suscitait une certaine panique. Pour résoudre le problème, on a publié des livres expliquant aux femmes le plaisir qu’elles étaient censées tirer du sexe, avec des titres comme « La femme sexuellement adéquate ». Ce livre, écrit par Frank Caprio, est un classique absolu (Frank Caprio, 1953). Après avoir expliqué l’importance de l’orgasme, le nombre de femmes frigides, et l’immense tragédie que cela représentait, Caprio propose une section intitulée « Les graves erreurs de la chambre à coucher ». Il s’agit des erreurs commises par les femmes pendant l’acte sexuel. Elles étaient graves parce que l’acte sexuel est sacré et que les femmes étaient censées l’aborder avec ce qu’Eustace Chesser, célèbre sexologue britannique de l’époque, appellait une “joyeuse anticipation” (Eustace Chesser, 1946). La “joyeuse anticipation” était une attitude presque religieuse. Les femmes devaient la ressentir avant de se rendre dans la chambre pour l’acte sexuel. Ainsi, elles vivraient le bon type de plaisir. Puisque tout se passait dans la tête, les femmes devaient se mettre dans le bon état psychologique.
Dans le chapitre « Les erreurs de la chambre à coucher », nous avons le cas de deux femmes qui n’ont pas montré assez d’enthousiasme et ne se sont pas souciées de “l’anticipation joyeuse”. L’une d’elles a continué de lire un livre pendant que son mari se livrait à un rapport sexuel. L’autre a continué d’appliquer son vernis à ongles (Eustace Chesser, 1946). Il faut admettre qu’il s’agissait là de lourdes erreurs dans la chambre à coucher !
Les sexologues de la fin des années 1940 et des années 1950 étaient tout aussi déterminés que ceux des années 1920 à ce que le plaisir sexuel des femmes puisse et doive les subordonner. Eustace Chesser regrettait que beaucoup de femmes, dans les rapports sexuels, se contentaient de “se soumettre”. La soumission, disait-il, n’était pas suffisante. Elles devaient “s’abandonner” et “s’abandonner entièrement” dans l’acte sexuel. Voici une citation de Chesser à propos d’une fille qui était amoureuse mais qui avait des difficultés à atteindre l’état psychologique approprié :
Le plaisir de la femme dans l’acte sexuel éradiquerait cette petite part de résistance au pouvoir masculin.
La littérature de la soi-disant révolution sexuelle des années 1960 a repris ces thèmes, mais ce que l’on attendait des femmes était dorénavant plus compliqué. Elles devaient participer et faire preuve d’énergie. Il s’agit d’un grand changement. Après la Seconde Guerre mondiale, on craignait que si les femmes montraient trop d’enthousiasme dans l’acte sexuel, comme l’a dit le sexologue britannique Kenneth Walker, le pénis ne tombe (Kenneth Walker, 1949). Les femmes devaient donc être prudentes : elles ne devaient pas trop bouger. Dans les années 1960, tout cela a changé. Les femmes devaient se suspendre à des abat-jour, avaler des pénis en érection et réaliser de nombreux autres exploits pour prouver aux hommes qu’elles aimaient ça.
Dans les années 1980, les libertariens sexuels ont suivi les traditions de la sexologie et de la réforme sexuelle. Les libertariens sexuels du moment, comme les organisateurs de la conférence Barnard, Jeffrey Weeks, et d’autres historiens et théoriciens homosexuels masculins, se situent dans la tradition de la réforme sexuelle et considèrent Havelock Ellis comme son père fondateur (Carol Vance, 1984 ; Simon Watney, 1987 ; Jeffrey Weeks, 1985). Comme Ellis, ils participent à l’érotisation de la domination et de la soumission. Le programme des libertariens sur la sexualité est en opposition fondamentale avec celui des féministes. Là où les féministes cherchent à transformer la sexualité pour assurer la sécurité des femmes et des enfants et mettre fin à l’inégalité subie par les femmes, les libertariens cherchent à promouvoir et à légitimer la sexualité traditionnelle de domination et de soumission. Ils érotisent les pratiques qui reposent sur le déséquilibre du pouvoir, comme le BDSM, le butch/femme [t2], et les œuvres érotiques qui représentent l’humiliation et la dégradation des femmes. Ils considèrent appartenir à la tradition dite pro-sexe. Pro-sexe étant l’euphémisme de pro-domination et pro-soumission sexuelle.
Malheureusement, les libertariens sexuels ont eu une influence considérable sur le mouvement des femmes. Pour montrer à quel point leurs idées sont devenues acceptables, je cite un article paru en 1985 dans un numéro du magazine Ms. consacré à la santé. Je supposais que la partie sur le sexe allait couvrir les problèmes de santé des femmes résultant de la violence sexuelle masculine et de l’utilisation de la pornographie à leur encontre. Rien de tel ne figurait dans ce numéro. L’article sur la sexualité se concentrait sur “Le grand O” (l’orgasme), et sur la façon dont les femmes devraient en avoir davantage (Sarah Crichton, 1986).
L’article expliquait que les femmes devaient se préparer pendant trois ou quatre jours avant un rapport sexuel afin d’obtenir suffisamment d’orgasmes, puisqu’un seul n’était plus suffisant, il leur en fallait plusieurs. Comment allaient-elles se préparer ? Eh bien, par exemple grâce à des fantasmes BDSM. En d’autres termes, elles devaient s’humilier mentalement pour se mettre en jambes avant l’acte sexuel et ainsi avoir le bon nombre d’orgasmes.
Les auteurs ont réalisé qu’étant donné qu’ils écrivaient dans un magazine censé être féministe, cela pouvait poser un problème de préconiser aux femmes l’abandon pendant un acte sexuel avec un homme. Ils ont contourné ce problème en disant que les femmes, lors d’un rapport sexuel, ne se livraient pas du tout aux hommes ; elles se livrent en fait à la “nature” ou à elles-mêmes. Ils ont écrit :
Vous ne trouverez pas, bien entendu, de conseils sexuels réservés aux hommes leur disant de s’abandonner à eux-mêmes ou même à la nature lors des rapports sexuels. S’ils le faisaient, le sexe tel que nous le connaissons disparaîtrait probablement. Je pense que ce serait une bonne idée que les hommes commencent à s’abandonner à eux-mêmes, de temps en temps.
Il est par conséquent indéniable que le message des libertariens sexuels a pénétré dans la culture féministe. Même au sein du mouvement féministe, les femmes sont encouragées à être complices de leur propre oppression en l’érotisant, en consommant de la pornographie, en s’adonnant à des pratiques BDSM.
Cent ans de sexologie ont montré que lorsque nous sommes conditionnées à jouir dans la soumission sexuelle, nous nous subordonnons dans l’ensemble de notre vie. À cet égard, les sexologues connaissaient leur affaire. Il s’agissait bien de faire en sorte que les femmes soient affaiblies, incapables de lutter contre leur oppression. Aujourd’hui, les libéraux sexuels qui combattent les militantes féministes, qui se considèrent comme faisant partie des lobbies progressistes pro-sexe et anti-censure, poursuivent en réalité le travail des sexologues. Ainsi, en érotisant notre subordination au nom de la “libération sexuelle”, ils consolident en fait les fondements de la suprématie masculine.
— Traduction : Lorenzo Papace
Autrice
Sheila Jeffreys est une militante féministe radicale qui a rejoint le premier groupe du Women’s Liberation Movement au Royaume-Uni en 1973 et qui est devenue lesbienne en 1977. En 1991, elle a déménagé en Australie pour enseigner à l’Université de Melbourne, puis a pris sa retraite au Royaume-Uni en 2015. Elle a écrit dix livres à propos de l’histoire de la sexualité, du féminisme lesbien, de la prostitution, des politiques des hommes gay, des pratiques de beauté, de la mencace des religions patriarcales pour les droits des femmes, et des politiques du transgenrisme.
Notes
↑1. Les libéraux sexuels sont ceux qui souscrivent au programme de tolérance sexuelle des années 1960, à l’idée que le sexe est nécessairement bon et positif, et que la censure est une mauvaise chose. Les libertariens sexuels ont un programme plus moderne et défendent activement les “marges” de la sexualité, comme le BDSM, avec la conviction que les « minorités sexuelles » sont en première ligne pour créer la révolution sexuelle.
Notes du traducteur
↑t1. Dans la version originale de ce texte de 1990, Sheila Jeffreys utilise le terme “sadomasochism”. Bien que le sadomasochisme soit un des éléments de l’ensemble des pratiques BDSM, je choisis ici de le traduire par “BDSM”, le terme “sadomasochisme” étant un peu tombé en désuétude. Comme le précise l’autrice dans un document plus récent de 2016, « on utilisait le terme sadomasochiste dans les années 1980 alors qu’aujourd’hui on emploie le terme BDSM »
Elle regrette par ailleurs que « loin d’être une diversion, le sadomasochisme que nous avons combattu si vaillamment dans les années 80, désormais appelé BDSM, est devenu de rigueur dans la plupart des pratiques hétérosexuelles actuelles. Le BDSM est un phénomène grand public et ne semble plus particulièrement niche et révolutionnaire. Cependant, à l’heure actuelle, les communautés féministes ou lesbiennes en ligne ou hors ligne ne parlent que rarement de l’éthique de la sexualité, de la vie quotidienne et des relations. La pratique sexuelle, en particulier, est à peine examinée. Alors qu’elle était politisée comme étant cruciale pour l’oppression des femmes dans le Mouvement de libération des femmes, elle est maintenant presque entièrement redevenue privée. Les femmes ne disent pas à quel point elles sont troublées par les fantasmes sexuels sadomasochistes. Je ne vois aucune discussion sur la façon dont notre pratique sexuelle s’inscrit dans la révolution que nous essayons de créer. »
↑t2. Dans Gender Hurts, Sheila Jeffreys explique que « le jeu de rôle butch/femme était courant dans certaines communautés lesbiennes avant les années 1970. Il a cependant été critiqué par le féminisme lesbien, dont l’objectif était de créer des relations égalitaires entre les femmes, libres des contraintes imposées par l’hétérosexualité patriarcale qui n’envisageait l’érotisme qu’au travers de personnes jouant les rôles masculins/féminins. Dans les années 1990, ce jeu de rôle a été réhabilité et a servi de base au transgenrisme des lesbiennes. »
REFERENCES
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